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Vincenzo Esposito Vinzi, DG du Groupe ESSEC : « Avec l’école-monde, préparer à la quatrième révolution industrielle »

Actus de l'ESSEC

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27/03/2019

Un peu plus d’un an après son accession à la tête du Groupe ESSEC, Vincenzo Esposito Vinzi expose ses projets et ses ambitions pour les années à venir, dans un monde en perpétuelle mutation. Qu’il s’agisse du financement de nouveaux projets, de la nécessaire adaptation des savoirs dispensés aux étudiants ou encore du développement à l’international, il livre sa vision de ce que devra être l’ESSEC du futur et affirme sa volonté d’en faire une « école-monde » tout en conservant sa spécificité d’excellence à la française. 

ESSEC Alumni : Quels sont les grands défis auxquels l’ESSEC aura à faire face au cours des prochaines années ?

Vincenzo Esposito Vinzi : L’environnement autour des business schools en France et autour de leur avenir est en train d’évoluer, avec notamment l’arrêt programmé, d’ici deux ans, de leur financement par les chambres de commerce et d’industrie (CCI), mais aussi à cause de l’incertitude qui pèse sur la réforme de la taxe d’apprentissage, dont nous ne connaissons pas encore avec précision tous les décrets d’application. De la même manière, nous ne savons pas grand chose sur la réforme de la formation professionnelle qui risque d’avoir un impact sur la formation continue. Il y a donc des questions financières qui se posent, d’autant que l’ESSEC est une association de loi 1901 à but non lucratif. Je rappelle aussi que notre école est un établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) ; or cette notion d’intérêt général, essentielle pour moi, est trop souvent sous-estimée dans le débat actuel sur le financement, ce qui à terme pose la question de notre mission. Nous ne souhaitons pas changer notre statut d’association pour celui de société anonyme, comme le font ou l’ont déjà fait quelques écoles. Notre mission est donc d’assurer l’équilibre de notre compte d’exploitation, de rester une école attractive, et de trouver des sources de financement, publiques ou privées, afin de poursuivre notre développement.

EA : Quels sont vos objectifs en termes de formation des étudiants ?

V. Esposito Vinzi : Il existe des mutations en cours qui impactent les entreprises de manière directe ou indirecte : changements de mode de production, tensions sociales ou politiques, un contexte international instable ou incertain. Autant de grandes mutations qui font que les étudiants que nous formons aujourd’hui vont entrer dans quelques années dans un monde professionnel dont on ne connaît pas encore la plupart des futurs métiers. Ce qu’on appelle la « quatrième révolution industrielle » a deux caractéristiques différentes des trois précédentes : c’est d’abord une plus grande vitesse de changements et d’évolution, et ensuite une profondeur de changements bien supérieure avec le développement de la robotisation et l’arrivée de l’intelligence artificielle. Notre rôle est donc d’offrir un enseignement, une formation, qui permettent aux étudiants d’aujourd’hui de devenir les leaders de demain dans un environnement en mutation rapide et permanente.

EA : C’est ce que vous définissez comme une hybridation de la formation ?

V. Esposito Vinzi : L’hybridation fait déjà partie de l’ADN de l’ESSEC. Elle commence dès l’entrée à l’école avec une très grande diversité de profils des étudiants qui l’intègrent, et elle se poursuit avec la diversité des formations que nous offrons. Mais nous nous devons d’aller plus loin encore dans le multidisciplinaire. Il ne s’agit pas de renier les apprentissages fondamentaux comme la finance, l’organisation, le management, qui sont absolument indispensables à une formation d’excellence. Mais ce n’est à mon avis plus suffisant à la formation des grands leaders de demain. Lorsqu’ils sortent de l’école, nos étudiants doivent être capables de s’adapter à des environnements toujours plus complexes et qui ne cessent de se transformer, et être capables de s’adresser à une multitude d’acteurs différents.

EA : Cela veut dire créer de nouveaux cursus ?

V. Esposito Vinzi : Cela veut surtout dire les faire évoluer. Nous disposons déjà du portefeuille de programmes le plus vaste comparé à celui de nos concurrents directs, qu’ils soient français ou à l’international. Il s’agit donc pour nous de faire preuve d’innovation et de continuer à avoir une ambition d’excellence, ce qui fait partie de notre histoire – c’est notre marque de fabrique. Il n’est pas nécessaire pour cela d’élargir notre portefeuille de programmes, d’activités ou de partenariats. Peut-être même faut-il moins de partenariats mais des partenariats plus stratégiques, moins de programmes mais des programmes qui répondent mieux aux besoins de demain. Il s’agit de les faire évoluer et de les adapter à ce que sera le monde de demain. Pour illustrer mon propos, je prends l’exemple d’un cours en ligne obligatoire que nous avons créé cette année, le cours de management responsable, responsible leadership, qui aborde la responsabilité du leader vis-à-vis des clients, des consommateurs, des fournisseurs, des employés ou encore de l’État, c’est-à-dire sa responsabilité vis-à-vis de l’environnement dans lequel son organisation s’inscrit. Pour la rentrée prochaine, nous préparons une série de cours multidisciplinaires, rassemblés sous l’Innovation Roadmap, qui concerneront des domaines ou des secteurs que nous avons identifiés comme incontournables pour les cinq ou dix prochaines années.

EA : Quel est le profil du leader de demain selon vous ?

V. Esposito Vinzi : Ce sera quelqu’un de créatif, d’imaginatif. Il devra être capable de s’adapter à des situations sans cesse nouvelles et souvent imprévues, de faire preuve de pensée critique, et donc d’être en mesure de tester des solutions sans idées préconçues, en acceptant de pouvoir se tromper pour apprendre et faire mieux rapidement. Enfin, le leader de demain devra avoir la capacité de communiquer et de travailler avec les autres, ce qui peut paraître tout à fait banal dit comme cela ; mais l’expérience prouve paradoxalement que dans un monde de plus en plus ouvert à l’information, il est devenu plus difficile de communiquer et de travailler ensemble au sein d’une même équipe. Voilà, je crois, les trois caractéristiques qui permettront aux leaders du futur d’être en capacité d’inspirer et d’entraîner ceux qui les entourent, de développer des idées. Cela suppose un engagement important de leur part afin de provoquer un impact, à la fois sur les événements et sur les personnes, sans quoi ils seront condamnés à subir les évolutions technologiques sans pouvoir les maîtriser. D’où l’impérative nécessité d’être créatif, imaginatif, agile et adaptable face à la digitalisation et à l’intelligence artificielle.

EA : C’est la raison pour laquelle vous vous apprêtez à lancer un campus numérique ? 

V. Esposito Vinzi : Oui, le lancement est programmé pour le printemps 2019. J’ai coutume de l’appeler le cinquième campus de l’ESSEC, après ceux de Cergy, de la Défense, de Singapour et du Maroc. Il ne s’agira pas d’un campus physique, mais ce que j’appelle un campus numérique augmenté. C’est-à-dire un campus virtuel, digital, qui permettra une offre pédagogique disruptive. L’objectif que nous avons est d’arriver à proposer, via le numérique, la même expérience ESSEC que celle qui existe aujourd’hui en salle de cours, dans le but d’approcher de nouveaux marchés. L’idée est de permettre à un étudiant, où qu’il se trouve sur la planète, d’être suivi au même titre que s’il était présent sur l’un de nos campus physiques. Car l’expérience ESSEC, ce n’est pas la seule pédagogie ; nous sommes une institution académique qui a un projet intellectuel, nous produisons nous-mêmes des savoirs que nous partageons avec nos étudiants, et cette expérience doit être de la même qualité, avoir la même ambition dans ce nouveau campus. Le Campus numérique augmenté doit enfin nous permettre de créer une plateforme digitale sur laquelle les différentes communautés de l’ESSEC pourront échanger, qu’il s’agisse de la communauté des alumni, des partenaires académiques ou des entreprises à travers le monde qui auront accès à l’ensemble de l’écosystème ESSEC.

EA : Quel nom souhaitez-vous donner à votre stratégie ?

V. Esposito Vinzi : J’ai déjà quelques idées, mais il est encore trop tôt pour vous les dévoiler. En revanche, le concept est déjà clairement défini, puisque nous avons pour ambition de faire de l’ESSEC une école-monde aux racines françaises et à l’impact global, qui conjugue excellence et singularité. Car il est très important d’arriver à conjuguer l’ancrage local, que ce soit Cergy, Singapour ou Rabat, avec un impact global. Dans ce concept d’école-monde, il existe trois piliers : d’abord consolider les campus existants pour que l’ESSEC soit un véritable partenaire intégré de l’environnement académique, économique, sociétal et professionnel de la région dans laquelle ils sont installés, un véritable référent pour les partenaires locaux ou régionaux. Ensuite, renforcer les alliances structurantes que nous avons partout dans le monde avec des marques de haut niveau, que ce soit aux États-Unis, en Chine ou en Europe. Car nous avons de plus en plus d’étudiants internationaux, il faut donc que la marque ESSEC soit de plus en plus visible, mieux connue de nos partenaires corporate afin de faciliter la vie de nos étudiants qui entrent dans la vie professionnelle dans ces régions, et de nos partenaires académiques afin d’y asseoir durablement notre marque. Pour développer cette stratégie, nous disposons d’un bureau à Pékin, d’un autre à Londres, et nous pouvons nous appuyer sur les alumni présents à l’étranger, qui sont organisés en chapters. Enfin, le troisième pilier est le campus numérique que je viens d’évoquer, qui va nous permettre de pénétrer des marchés que nous ne pouvons pas atteindre physiquement.

EA : Quelles sont vos ambitions pour les campus de Singapour et de Rabat ?

V. Esposito Vinzi : En ce qui concerne le campus de Rabat, il s’agit d’une tête de pont pour l’ensemble de l’Afrique. Nous avons engagé un virage stratégique pour tout le continent en mettant notamment en place un Executive Master et en développant de la formation continue, ce qui nous permet d’ores et déjà de nous affirmer comme une graduate school en Afrique. Pour ce qui est de Singapour, qui voit passer sur son campus un peu plus d’un millier d’étudiants toutes formations confondues, nous entendons poursuivre son développement, notamment via notre Global MBA qui, pour la première fois dans l’histoire de l’ESSEC, a permis à l’école de faire son entrée dans le Top 10 européen du classement combiné du Financial Times, à la 8e place, tous programmes confondus. Le Global MBA est donc clairement un programme stratégique pour les années à venir ; sa direction académique est d’ailleurs basée à Singapour, ce qui permet de lui donner un véritable caractère international et peut constituer dans un proche avenir une porte d’entrée pour les marchés chinois et américains, deux marchés essentiels de mon point de vue.

EA : Le projet Campus 2020 s’inscrit-il dans cette stratégie à l’impact global ?

V. Esposito Vinzi : Très clairement, car ce projet répond aux attentes de nos étudiants, de nos professeurs, de nos partenaires académiques ou corporate, qu’ils viennent de France ou de l’international, et de l’ensemble des acteurs de la communauté ESSEC, parmi lesquels les alumni. Il s’agit d’un projet « student-centric » et « project-centric » avec une dimension d’ouverture sociale forte pour créer plus de sens et d’articulation dans notre société en habituant des univers différents à se côtoyer et à travailler ensemble. C’est un projet de quelque 35 millions d’euros, qui combine à la fois l’ancrage local et l’impact global. Ce nouveau campus doit répondre aux attentes de l’ensemble des acteurs qui se rendent à Cergy. Nous souhaitons en faire évoluer la conception tout en restant cohérents avec ce qui existe déjà ; il s’agit de poursuivre l’écriture de l’histoire de l’école et d’anticiper l’avenir. Il sera constitué de quatre sites, avec la création d’un Sports & Leisure Center ouvert sur le parc François-Mitterrand, qui va mettre le sport et ses valeurs au cœur de l’expérience campus et dont les travaux débuteront l’été prochain, ainsi que la transformation de la tour administrative en Green Research Tower avec des équipements et des laboratoires dédiés à la recherche de pointe pour que l’excellence académique irrigue au mieux l’enseignement et les collaborations aves les entreprises, l’économie et la société. Il inclura également la création d’un Creative Learning Center avec des espaces adaptés aux nouveaux modes pédagogiques et connecté sur le monde, et enfin l’implantation d’espaces verts avec aménagements mobiles écoresponsables pour créer un environnement équilibré entre modernité et nature, partagé avec le territoire. Il ne s’agit pas d’un simple ensemble, d’un simple lieu : Campus 2020 doit permettre de mettre en place des actions, de mettre en œuvre des projets qui répondent à nos besoins stratégiques.

EA : Envisagez-vous également une implantation à Paris ?

V. Esposito Vinzi : C’est absolument indispensable ! Nous sommes d’ailleurs à la recherche de locaux parisiens qui nous offrirons la possibilité de développer l’animation du réseau d’alumni, de développer l’entrepreneuriat, mais aussi de disposer d’un bureau de représentation. Cela fait partie intégrante de notre projet de développement, au même titre que Campus 2020, les implantations à l’international, et le modèle éducatif pour former les leaders de demain. Nous construisons un ensemble qui doit faire rêver nos étudiants et nos enseignants, présents et futurs, nos partenaires corporate et nos futurs donateurs. Sur ce dernier point, nous sommes d’ailleurs en train de mettre en place un comité de campagne de levée de fonds, en collaboration avec la Fondation, car le fundraising sera à l’avenir un outil incontournable pour le financement de notre développement et de nos projets spécifiques, pour que le rêve devienne réalité.

EA : Malgré tous ces projets en cours, la mission de l’ESSEC restera-t-elle la même ?

V. Esposito Vinzi : Notre mission reste évidemment la formation d’excellence des étudiants, qu’elle soit initiale ou en formation continue, la création de savoirs de pointe grâce à une recherche rigoureuse, pertinente et impactante, et le travail en symbiose avec les entreprises. Ce qui est nouveau, c’est que notre raison d’être est aussi de donner du sens au leadership de demain. L’ESSEC se doit d’être une institution responsable qui ne doit pas se contenter d’offrir un large éventail de programmes. Nous devons aussi faire passer le message de la future responsabilité de l’étudiant lorsqu’il entrera dans le monde de l’entreprise afin qu’il trouve un sens à ce qu’il va faire et qu’il ait un impact positif sur la société. Pour cela, il faut que nous nous appliquions à nous-mêmes des règles éthiques, de responsabilité, de respect environnemental, afin d’être l’exemple : donner du sens à ce que nous sommes pour être capables de donner du sens aux leaders que nous formons. Nous devons être extrêmement vigilants à la pertinence de ce que nous proposons dans un monde en perpétuelle évolution. La quête du sens – une question qui ne se posait pas beaucoup il y a encore quelques années – se pose aujourd’hui de manière très forte. C’est la raison pour laquelle nous venons de mettre en place une charte du respect d’autrui, car il est absolument fondamental d’être capable de combiner le savoir-être avec le savoir et le savoir-faire. Même dans le monde de la finance et de l’entreprise, il faut arriver avec des valeurs et les appliquer.

 

Propos recueillis par Philippe Desmoulins (E78), directeur d’ESSEC Publications, et par François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets ESSEC Magazine

Paru dans Reflets #127. Pour accéder à l’intégralité des contenus du magazine Reflets ESSEC, cliquer ici.

 



Illustration : © Christophe Meireis

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