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Vincenzo Vinzi et Olivier Cantet (E87) : « Tous ensemble tournés vers l’avenir ! »

Interviews

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03/08/2020

À temps exceptionnel, offre exceptionnelle : ESSEC Alumni vous donne accès libre au numéro spécial COVID-19 de Reflets ! Au sommaire, une cinquantaine d’articles de diplômé(e)s et de professeur(e)s ESSEC – parmi lesquels Vincenzo Vinzi, directeur général du Groupe ESSEC, et Olivier Cantet (E87), président d’ESSEC Alumni, qui partagent avec nous leur vision pour l'avenir de l'école et du réseau dans le contexte du COVID-19. Découvrez leur interview en 4 parties directement sur notre site – et accédez à l’intégralité du numéro en version flipbook !

La crise

ESSEC Alumni : Comment avez-vous vécu cette période, à titre personnel mais aussi à vos postes respectifs ?

Vincenzo Vinzi : Ce fut une période intense ! Sur le plan personnel, ce fut cette expérience un peu étrange du confinement entre quatre murs que nous avons tous vécue, à l’instar d’une grande partie de l’humanité. C’est un moment qui doit nous rappeler notre humilité face à la nature. Un moment aussi pour réaliser combien il est précieux d’être en bonne santé, et que tout le monde n’a pas cette chance.

Ce que je retiendrai de cette période, c’est notre capacité de résilience, résilience individuelle, résilience collective. Nous avons tous ensemble réussi, en tant que communauté ESSEC, à faire que la distanciation sociale ne soit pas une isolation sociale, mais soit même un temps de socialisation à distance.

Sur le plan professionnel, j’ai vu nos équipes travailler main dans la main pour repenser nos cours en ligne en un temps record, nos professeurs mettre en œuvre des méthodes pédagogiques alternatives et efficaces auxquelles nos étudiants se sont adaptés avec brio, notre personnel s’engager pleinement dans le télétravail. Nous avons très bien réussi le passage au distanciel, nous pouvons en être fiers.

Ce qui a été important aussi tout au long de cette période inédite, en plus de la gestion des urgences qu’elle engendrait au quotidien, c’était de garder le cap en poursuivant le travail de fond sur les dimensions stratégiques et organisationnelles, afin d’être prêts à faire face à la crise économique et sociale qui suit la crise sanitaire, en préservant la maîtrise et la pérennité du développement de notre chère école.

EA : Et pour vous Olivier ?

Olivier Cantet : Au sein de mon entreprise Private Sport Shop, nous avons été privilégiés. La continuité de nos activités n’était pas assurée mais possible – nous sommes le leader européen des ventes flash on line dans le sport. C’est beaucoup de digital mais aussi beaucoup de distribution physique aux quatre coins de la France, Espagne, Italie, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni. Les équipes ont été fantastiques de réactivité et de confiance dans ce que nous mettions en œuvre. 2020 s’annonce paradoxalement comme une année charnière, où nous avons accéléré le recrutement de nouveaux clients et noué des relations plus fortes avec nos marques partenaires, existantes ou nouvelles, groupes mondiaux ou TPE.

D’un point de vue personnel, je n’ai pas eu la joie de connaître ce que vous avez été nombreux à apprécier : les retrouvailles au quotidien avec mes enfants… La famille était loin et les déplacements impossibles. Une quinzaine à « ferrailler » avec le virus ne m’a pas incité à réduire cette distance. C’est un vrai regret qui se transforme aujourd’hui en envie forte de rattraper cette occasion manquée.

EA : Comment s’est organisée l’ESSEC pour les cours et sur les campus ?

V. Vinzi : La fermeture au public des quatre campus physiques de l’ESSEC en France, à Singapour et au Maroc impliquait de résoudre une problématique complexe : continuer à délivrer des enseignements et des formations de qualité à l’ensemble de nos étudiants et participants, à distance. C’est la mission première de l’école, et il a fallu, dans des temps records, mobiliser les équipes pour que cette transition soit la plus douce et la plus efficace possible, pour toute la communauté ESSEC.

Les équipes du K-lab (Knowledge Lab) et de l’Innovation, qui accompagnent toutes les parties prenantes de l’école sur la digitalisation des pratiques pédagogiques, ont joué un rôle capital, en mobilisant une équipe dédiée et renforcée en quelques heures. En lien avec le Décanat, des sessions d’information et un site internet ont été mis à disposition pour aider les professeurs à adapter leur pédagogie et à prendre en main les outils. Il y a eu beaucoup d’engagement et de solidarité entre les différents acteurs de l’ESSEC pour s’adapter rapidement à cette situation exceptionnelle. Pour autant, l’enseignement à distance ne se résume pas aux problématiques d’infrastructures numériques. Les professeurs et intervenants ont travaillé d’arrache-pied pour repenser leur enseignement, afin que ce ne soit pas un copier-coller dégradé du présentiel, mais bien une nouvelle expérience de même qualité, adaptée à un public physiquement absent.

Dès le 16 mars, les participants en formation continue ont pu bénéficier de ces enseignements à distance. Et le 23 mars, les étudiants de tous les programmes pré-expérience ont également repris les cours selon ce mode 100 % distanciel. C’est une formidable preuve de la capacité d’innovation et d’adaptation de notre institution.

EA : Parallèlement, quelles ont été les priorités pour ESSEC Alumni ?

O. Cantet : La directrice générale d’ESSEC Alumni, Stéphanie Jossermoz (E94), et moi-même avons décidé de fermer les locaux et d’annuler les événements physiques une semaine avant le confinement complet. Nous avons pu anticiper les conséquences de ce qui allait arriver grâce aux alumni en Asie et en Italie. La mobilisation des équipes permanentes a alors commencé pour relayer et épauler les actions des alumni, des étudiants et de l’école. Ils n’ont rien lâché. Je suis très fier de ce qu’ils ont réalisé dans l’urgence, prenant de nouvelles initiatives avec beaucoup de créativité.

Pour résumer cette effervescence, nous avons eu trois temps successifs avec tous les alumni : d’abord participer à l’entraide face aux urgences sanitaires, économiques et individuelles ; puis partager nos expériences (école, experts, dirigeants) pour réfléchir et identifier les signaux devant l’inconnu ; et finalement accélérer les mutations de l’association, de ses outils et de ses services pour accompagner le plus grand nombre d’alumni sur tous les continents.

Cette mobilisation du réseau ESSEC a été relayée par une communication beaucoup plus intense pour partager les initiatives et les bonnes pratiques d’entraide tant des alumni que de l’ESSEC. La newsletter Reflets #essecstayconnected est passée à un rythme de deux envois par semaine (contre deux par mois auparavant) avec des taux d’ouverture record. Le site essecalumni.com a vu son trafic augmenter fortement. Les posts sur les réseaux sociaux ont été également multipliés par 4 sur LinkedIn et Facebook.

La mission de l’association a été plus que jamais de nous relier les uns avec les autres pour réfléchir et agir. Collectivement, nous avons eu plus d’impact.

EA : De son côté, l’ESSEC était-elle prête pour une réponse digitale ?

V. Vinzi : Indéniablement. L’intégration des outils digitaux dans l’écosystème de l’ESSEC est l’une des ambitions fortes de notre stratégie, depuis plusieurs années. Les équipes du K-Lab sont dédiées à cette tâche, et nous avons ainsi inauguré en 2019 le cinquième campus de l’ESSEC, le campus numérique augmenté, qui en est le meilleur exemple. Il propose une véritable expérience, qui repose autant sur la qualité des contenus et des expériences pédagogiques proposés que sur la multiplication des échanges entre apprenants. À la fin de l’année 2019, nous avons également inauguré sur notre campus de La Défense un équipement révolutionnaire, le Deck-, en lien avec CY Initiative. Cette classe virtuelle permet d’offrir une expérience vivante et interactive entre le professeur et ses participants. Nous avons aussi su tirer profit des nombreux MOOCs et SPOCs déjà disponibles, et avons continué à en produire de nouveaux.

Grâce aux investissements de ces dernières années et à ces innovations majeures, nos professeurs et nos équipes bénéficiaient déjà d’une forte expertise dans l’enseignement digital. Nous avons pu capitaliser dessus pour l’adapter à une plus large échelle, dans des délais très courts.

La rentrée et les projets

EA : Comment va se passer la rentrée dans les différents campus ?

V. Vinzi : La vie académique et étudiante constituant les deux pierres angulaires de l’expérience ESSEC, nous pensons que les étudiants et les participants voudront rapidement retourner sur les campus. Certains, cependant, ne pourront pas venir à Cergy, La Défense, Singapour ou Rabat en raison de problèmes de visa ou de transport, de restrictions, de problèmes de santé ou de nombreuses autres raisons.

Chacun doit donc pouvoir suivre ses cours sur le campus ou en ligne, selon sa situation spécifique, au moins au cours du premier trimestre de la nouvelle année académique. Il est en effet possible que certains arrivent sur le campus dans le courant du trimestre ou du semestre. Cela implique que nous puissions proposer deux formes d’enseignement et de suivi individuel en simultané.

Bien sûr, l’enseignement présentiel sera proposé dans le respect strict des règles sanitaires prescrites. Si les mesures actuellement prescrites devaient continuer, nous savons d’ores et déjà qu’elles ne permettent pas d’utiliser pleinement nos campus, que ce soit les salles de cours ou les espaces communs. Nous travaillons donc actuellement sur plusieurs scénarios, pour nos étudiants sur les programmes à temps plein, comme pour nos participants qui suivent une formation à temps partiel. Il y a plusieurs options posées, qui nous permettent d’accueillir simultanément à la fois en salle de cours et à distance. Cela demande des investissements, ainsi que beaucoup de planification et de travail, d’autant que nos différents programmes nécessitent des solutions qui peuvent être différentes.

EA : Et pour ESSEC Alumni, comment se profile la rentrée ?

O. Cantet : La priorité de la rentrée sera de faciliter les évolutions de carrière des alumni du monde entier, ainsi que d’épauler l’entrée sur le marché du travail des étudiants (stages, apprentissages et premier emploi).

Dès cet été, de nombreux alumni seront confrontés au besoin de changer de secteur, d’entreprise ou de métier. ESSEC Alumni a profondément fait évoluer ses services carrière en 2019 pour s’adapter à tous et absorber des hausses de demandes. Les alumni peuvent bénéficier d’entretiens individuels avec une douzaine de coachs à la Maison des ESSEC à Paris ou à distance, selon leurs préférences et possibilités, et dans plusieurs langues. Nous multiplions aussi les webinaires pour passer à l’action, activer le réseau et gérer sa carrière. Stephanie Jossermoz vient en outre d’annoncer un partenariat inédit avec la solution de coaching 100 % digital Chance. C’est le parfait complément du suivi direct que nous réalisons.

La généralisation forcée du digital nous a permis de gagner quelques années dans son adoption et nous a fait découvrir des ressources insoupçonnées. Nous allons pouvoir alterner présentiel et digital, et ainsi ouvrir nos services et manifestations à un nombre plus grand d’alumni. L’association s’est dotée de « channels » propres sur Zoom, ainsi que d’expertises internes qui sont à votre service pour aller plus loin dans cette voie. C’est efficace, rapide et riche.

Le nouveau site ESSECalumni.com en place depuis quelques mois vient d’être complété par une app mobile téléchargeable par tous. Nous visons plus de 15 000 comptes alumni activés via ces plateformes d’ici la fin d’année, et sur le même nombre de profils actualisés, dont les informations vont nourrir l’annuaire. 

Enfin, nous continuons de travailler au déménagement des locaux d’ESSEC Alumni pour 2021. Nous avons cependant choisi de ne pas nous précipiter pour bien évaluer les nouvelles opportunités d’un marché immobilier incertain.

EA : Qu’en est-il du projet Campus 2020 ?

V. Vinzi : La crise du COVID-19 a généré des retards pour la construction. Le chantier de désamiantage et démolition du gymnase actuel et de la tour administrative, qui devait commencer le 18 mars dernier, a été suspendu par la crise sanitaire et le confinement qui s’en est suivi. Les travaux ont donc finalement démarré le 2 juin dernier, avec l’installation de la base vie qui va réaliser ces travaux durant tout l’été. Le gymnase sera entièrement démoli en août. Le désamiantage de la tour administrative se fera quant à lui entre mi-juillet et septembre. Nous espérons un démarrage des chantiers de construction, à partir de celui du Sports and Recreation Center, fin octobre - mi-novembre.

Cette crise sanitaire a aussi amené à se réinterroger sur les configurations des espaces de travail de demain. Nous allons y travailler avec les métiers et prendre en compte les nouvelles normes qui s’imposent.

EA : Avez-vous des pistes nouvelles pour accélérer les services d’ESSEC Alumni ?

O. Cantet : Depuis un an, nos priorités sont d’améliorer nos réseaux à l’international, de soutenir l’entreprenariat et de créer un programme de « lifelong learning » en complément de la gestion de carrière. Cela nécessitait une nouvelle organisation interne, qui est maintenant en place. 

Je souhaite en outre un soutien accru aux animateurs de nos clubs, chapters et cercles ainsi qu’une digitalisation à marche forcée de nos interactions avec vous tous. ESSEC Alumni est constituée de nombreuses communautés : 23 clubs professionnels, 73 chapters dans le monde entier, des cercles transverses comme EWA Boost’, et autant de groupes de promos ou de correspondants d’entreprises. L’ouverture et la vitalité de ces communautés seront décisives pour rayonner. C’est dans cette optique que Stéphanie Jossermoz a fait évoluer la structure permanente en créant trois postes pour être les points de contact et facilitateurs de nos trois principales communautés : Veary Ngy pour les alumni à l’étranger, Stéphanie Prévost pour les alumni en France, et Marine Leoni pour les étudiants. L’association doit être « customer centric » et se mettre au service de toutes ces communautés. De grands pas ont été réalisés pour professionnaliser l’organisation et faciliter l’animation. La communauté des alumni n’a jamais été autant informée, reliée et soudée. Il y a une envie de plus en plus large de s’engager durablement aux côtés d’ESSEC Alumni. À vous aussi de jouer et de participer ! Si vous ne l’avez pas encore fait, activez votre compte sur essecalumni.com pour recevoir les invitations à nos rencontres. Et si vous souhaitez contribuer à l’animation des clubs, chapters, cercles ou en créer de nouveau dans votre ville ou pays, contactez-moi directement par mail à alumni-president@essec.edu. L’assemblée générale du 1er octobre sera aussi l’occasion de se retrouver pour mesurer les énergies en actions !

EA : Qu’en sera-t-il des examens et des concours ?

V. Vinzi : Pour les concours, les décisions ont été prises collectivement par l’ensemble des établissements appartenant à la Conférence des Grandes Écoles, en étroite coordination avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Par conséquent, les modalités pour l’admission au programme Global BBA via Concours Sésame ont été modifiées. Le concours et l’oral ont dû être supprimés et remplacés par une double étude du dossier scolaire de l’étudiant : une première étude effectuée par Parcoursup, et une deuxième étude effectuée par les équipes des admissions de chaque École.

Pour la Grande École, les écrits ont été maintenus mais nous avons dû supprimer les oraux, pour des raisons d’équité et de tenue du calendrier. Pour compenser, nous avons mis en place un parcours à distance de découverte de l’école (ensemble avec le BDE et des admisseurs), et nous allons mettre encore plus l’accent sur les soft skills et la construction du projet professionnel dans l’année à venir.

Quant aux examens pour nos étudiants, nous proposons tout un éventail de possibilités d’évaluation : entretien oral, QCM, étude de cas, travail en groupe, examen à distance… C’est au professeur que revient la responsabilité de déterminer la forme la plus adaptée à la discipline de son cours et à ses objectifs pédagogiques.

L’éducation en question

EA : Quels changements peut-on anticiper dans le fonctionnement des campus ESSEC ?

V. Vinzi : La crise sanitaire du COVID-19 nous invite à repenser profondément nos fonctionnements. Tout comme la première révolution industrielle a forgé le système d’enseignement d’aujourd’hui, nous pouvons nous attendre à voir émerger un autre type de modèle à partir du COVID-19. La pandémie a eu l’effet d’un grand électrochoc, donnant à l’ensemble des parties prenantes (acteurs de l’éducation, apprenants, décideurs et société dans son ensemble) une meilleure compréhension des vulnérabilités et des lacunes de nos systèmes actuels. Elle a souligné combien il était indispensable de disposer de services plus centrés sur le numérique, qui complètent les évolutions des espaces physiques. Il est ainsi devenu clair que l’enseignement en ligne ne constitue pas seulement une alternative aux cours en présentiel, mais une expérience à part entière. Le mix présentiel/distanciel va venir percuter le statu quo qui prévalait jusqu’à présent. Avec le digital, le travail individuel préparera à une collaboration optimale à distance, avec de nouvelles formes d’interaction en ligne entre les apprenants et les enseignants. Les différents outils numériques permettent de combiner à la fois les formats asynchrones pour s’adresser à un grand nombre d’apprenants, et les formats centrés sur l’étudiant, en petits groupes, très personnalisés.

EA : Plus largement, quelles réflexions vous inspire cette crise ?

V. Vinzi : Nous avons vécu, et continuons de vivre, une période de bouleversement sans précédent. Celle-ci nous permet de questionner ce qui compte vraiment, de distinguer l’essentiel du superflu, et de revoir l’ordre de nos priorités. Depuis le début, j’ai en tête notre devise, inscrite sur notre blason : per scientiam ad libertatem, par le savoir la liberté, qui incarne notre mission et aussi notre finalité, celle de former des individus libres de vivre la vie à laquelle ils aspirent. Cette liberté inestimable, elle a été entravée par la période inédite du confinement. Nous avons pu mesurer la valeur des libertés fondamentales que nous considérions comme acquises, et auxquelles nous ne faisions plus attention. Nous sommes passés du superflu et relatif au nécessaire et prioritaire. Cette crise nous a questionnés et nous a transformés. Les actes de notre vie professionnelle comme de notre vie personnelle, de notre vie quotidienne, nous les effectuons selon une nouvelle échelle de valeurs, qui rend plus nécessaire que jamais la conjugaison de la science et de la conscience.

C’est pour cela que je trouve formidable que cette période de contrainte, celle où nous réalisons notre fragilité en tant qu’individus et en tant que société, soit aussi celle où s’exprime une solidarité spontanée et tous azimuts. Je pense à toutes les actions menées par des membres de la communauté ESSEC et au-delà, en faveur des personnes fragiles, des personnels soignants, des élèves de milieu défavorisé, et j’en passe. Au fond, s’il y a aussi quelque chose qu’il faut retenir de cette période, c’est qu’elle aura donné lieu à de formidables gestes d’humanité. Nous devons capitaliser sur cette expérience profondément intense et bouleversante.

EA : Faut-il repenser notre modèle ?

O. Cantet : Il y a des attentes fortes pour trouver de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes. Le « comment » est un challenge immense, qui ne peut se relever que collectivement. Repenser notre modèle nécessite des communautés engagées, qui réfléchissent dans la diversité et qui agissent de façon innovante. Repenser notre modèle doit être au cœur de la mission d’ESSEC Alumni. L’intelligence collective que nous représentons est d’une richesse incroyable. Les collaborations étroites avec l’école, ses professeurs, les chaires de recherches et d’enseignement, doivent nous aider à pousser nos réflexions, à voir différemment et plus loin. Ensemble, nous pouvons avoir plus d’impact et porter de profonds changements dans nos activités. Comment ne pas faire un parallèle avec l’histoire de l’association, qui a été créée avant la Première Guerre mondiale puis relancée juste après ? Rassemblons-nous pour construire un monde meilleur ! Les souffrances d’aujourd’hui sont bien différentes mais nous avons la même opportunité : en intensifiant nos échanges, nous allons diriger nos entreprises vers des modèles nouveaux, plus durables et plus inclusifs. Et contribuer à un monde meilleur pour tous.

V. Vinzi : Nous avons la responsabilité de repenser notre monde. La communauté éducative a un rôle prépondérant à jouer dans cette transformation. Cette crise va être un formidable accélérateur de changement vers de nouveaux modèles de travail et d’apprentissage, mais aussi économiques et sociaux. Le bien commun, la responsabilité vis-à-vis des autres et de notre environnement, l’humain, doivent être remis au cœur des solutions pour demain. À nous d’être fidèles à nos valeurs pour être créatifs, humanistes et inspirants !

Plus que jamais, les prochaines semaines, les prochaines années, vont être marquées par la quête du sens : sens de ce que nous produisons ; sens dans la façon dont nous produisons ; sens de ce que nous consommons, que ce soient des biens, des services, des données, des produits alimentaires, des loisirs, des déplacements. Nous le voyons au quotidien dans notre institution : c’est au cœur des préoccupations de nos étudiants et participants. C’est pourquoi l’ESSEC, notre école, notre communauté, sera au rendez-vous des défis qui attendent le monde. Notre mission, donner du sens au leadership de demain, n’a jamais été autant d’actualité. Il faudra être à la hauteur des défis qui se présentent devant nous, réaffirmer notre confiance dans l’avenir, et proposer des solutions innovantes capables de conjuguer croissance rentable et responsabilité afin d’assurer pérennité, santé et confort pour tous, ce qui ne sera pas possible sans une économie performante.

EA : En quoi le rôle de l’ESSEC et d’ESSEC Alumni devra-t-il évoluer auprès des alumni, des étudiants et des participants, mais aussi du corps professoral et de l’extérieur ?

O. Cantet : Face à l’urgence individuelle dans laquelle se trouvent certains étudiants, nous avons mis en ligne une plateforme d’offres de stages, d’apprentissage ou de premiers emplois réservée aux ESSEC, « Alumni Job Board ». Au bout de quelques semaines, nous avions déjà recueilli plus de quatre-vingts opportunités. Nous devons cependant faire mieux. Les étudiants sont les premiers concernés par les incertitudes qui touchent les entreprises. C’est la priorité des prochains mois. Certains connaissent également des difficultés financières accrues pour subvenir à leurs dépenses. Plus que jamais l’excellence des formations de l’ESSEC doit être ouverte à tous. Vos dons à la Fondation ESSEC participeront à cette réponse. Nous reviendrons vers vous tous avec son président Thierry Fritsch (E80) et sa déléguée générale Fabienne Riom (E81).

Pour faciliter les contacts et les coups de main, nous avons en outre choisi un « sésame » pour vous alerter quand un étudiant ou un diplômé vous sollicite : #ESSECconnect. Quelques minutes de votre temps sont précieuses pour vous comme pour eux.

Au-delà des conseils ponctuels pour orienter sa carrière, il y a une attente très forte des alumni de continuer à apprendre, à nourrir leurs réflexions et expertises tout au long de leur vie professionnelle. C’est pourquoi nous allons lancer un programme « Lifelong Learning » pour tous avec l’appui de l’ESSEC Executive Education, qui reste trop mal connu de la communauté alors qu’il s’agit d’un centre d’expertise de renommée mondiale (Top 5 World Ranking Financial Times). Le lancement du campus digital augmenté précédemment évoqué par Vincenzo Vinzi est parfait pour l’apprentissage à distance. Nous vous donnerons tous les détails à ce sujet d’ici la fin 2020.

Nous allons continuer par ailleurs d’assurer une présence quotidienne d’ESSEC Alumni sur les campus, et de faciliter l’intervention des alumni dans les cours ou leur participation à des expériences comme Going Pro. La relance du programme de mentorat a également connu un très bon démarrage juste avant la crise. Il est plus important que jamais, et il sera développé.

EA : Quelle stratégie l’ESSEC va-t-elle adopter en réponse à cette crise ?

V. Vinzi : La crise du COVID-19 a mis en lumière de nombreux dysfonctionnements dans nos modèles de sociétés. À l’ESSEC, nous avons récemment lancé une démarche stratégique de transition environnementale et sociale, appelée Together, qui vise à accélérer notre plein engagement dans la relance verte de l’économie. Dès le mois de septembre prochain, nous formerons 100 % de nos étudiants aux enjeux climatiques et aux enjeux sociaux par deux cours dédiés. Nous transformerons aussi entre autres tous les cours fondamentaux (économie, finance, stratégie, marketing, comptabilité…) pour qu’ils prennent mieux en compte ces enjeux, et développerons la recherche sur ces sujets au travers de chaires spécifiques.

Cette crise a aussi mis en lumière l’importance du digital, que ce soit pour l’enseignement à distance mais aussi le télétravail, et pour beaucoup de services de la vie quotidienne qui ont pu continuer grâce aux outils numériques : je pense à certains restaurants qui ont pu continuer à fonctionner grâce aux livraisons, aux consultations médicales à distance, et ainsi de suite. En tant qu’écoles de management, nous avons un rôle à jouer en nous plaçant au côté des entreprises pour leur permettre de saisir les enjeux et les opportunités que représente l’économie digitale. 

Plus largement, je pense profondément que par notre action, nous pouvons participer à la reprise économique, à la construction d’un monde plus durable et respectueux de notre écosystème grâce à l’innovation, en accompagnant les entreprises et les organisations dans l’épreuve du COVID-19 pour les éclairer sur les changements de fond qui bouleversent l’économie et la société, et en formant des leaders responsables et inclusifs qui sauront être des acteurs de la croissance et des moteurs de la transformation une fois dans le monde professionnel.

Et maintenant ?

EA : Quelles pistes pour l’éducation de demain ?

V. Vinzi : Tous nos étudiants doivent absolument continuer à bénéficier de l’excellence et de la singularité de l’expérience ESSEC. Les modalités d’enseignement et la pédagogie de nos professeurs évoluent de concert pour respecter les conditions sanitaires exigées. Une nouvelle phase va s’ouvrir en septembre, puisque nous devrions pouvoir rouvrir l’ensemble de nos campus à cette période, et accueillir près de 2500 nouveaux étudiants et participants. Mais les mesures de distanciation physique et les contraintes administratives pour nos étudiants et participants internationaux vont nous forcer à naviguer entre différents types d’enseignement, en présentiel et distanciel. Comment assurer la continuité et la qualité pédagogique en réduisant le nombre d’élèves par salle de classe ou en supprimant les évènements en amphithéâtre ? C’est un défi logistique majeur.

Il est donc fondamental que l’ESSEC s’appuie sur l’expérience forte développée dans le « blended learning » et le « dual teaching », ce mélange entre apprentissage en ligne et en classe. Les étudiants et les participants doivent pouvoir suivre leurs cours sur le campus ou en ligne, en fonction de leur situation particulière. Des ressources en ligne seront mises à disposition en amont, permettant ainsi de réduire le temps présentiel à une forte interaction avec le corps professoral, en petits groupes. Toutes les salles de classe vont aussi être équipées avec une technologie à la pointe d’ici la fin de l’année 2020 pour que les cours puissent se dérouler de manière fluide simultanément sur place et en distanciel au travers d’une pédagogie efficace.

Je tiens à souligner l’engagement sans faille de nos professeurs et des équipes des programmes dans ce processus complexe, qui les oblige à repenser très rapidement notre fonctionnement. L’ESSEC dispose de nombreux talents, atouts et ressources formidables qui nous permettent de traverser cette crise inédite avec succès.

Nous sommes maintenant en train de mener des enquêtes par questionnaire auprès des étudiants et des professeurs afin d’avoir un retour d’expérience sur la façon dont ils ont vécu l’enseignement à distance au cours de ces deux derniers mois. Cela nous permettra d’apprendre de cette période afin de projeter et tester des modèles d’enseignement innovants qui permettraient d’enrichir le modèle traditionnel en présentiel par des formes d’apprentissage en ligne différentes selon les programmes et les publics. Il est clair que l’apprentissage « par des expériences » représentera un élément différenciant clé de la singularité de l’ESSEC, peu importe si nous sommes dans un modèle 100 % présentiel, mixte ou 100 % digital.

EA : Et quelles pistes pour le monde de demain ?

V. Vinzi : Deux facteurs vont être clés pour réussir ce virage : la reprise économique, ainsi que l’éducation et la recherche.

L’enseignement et la recherche d’abord, car c’est au cœur de notre raison d’être en tant qu’école de management. La recherche sera primordiale. S’il est essentiel que la recherche médicale trouve au plus vite un vaccin contre le virus, la recherche que nous menons en tant qu’école de management sera elle aussi fondamentale. Nous devons définir de nouveaux modèles capables de concilier la relocalisation nécessaire d’une partie de la production des biens et la poursuite du développement des pays émergents, pour aboutir à une croissance durable qui bénéficie au plus grand nombre. Cette crise vient en effet nous rappeler à quel point notre monde globalisé est interconnecté, et qu’une stabilité et une prospérité les plus larges possible constituent la meilleure des protections qui soient, plus efficaces que tous les murs, toutes les frontières et toutes les réglementations. Aucun pays ne peut espérer sortir de cette crise aux dépens des autres.

Il nous faudra aussi enseigner pour former les prochaines générations de leaders responsables et inclusifs, qui sauront tirer les leçons de la crise actuelle et impulser le changement vers les nouveaux modèles économiques et sociétaux. Naturellement, pour permettre la réussite de ce changement, la relance économique va être primordiale. Les États et les banques centrales auront un rôle central à jouer pour limiter l’effet du double choc d’offre et de demande au niveau mondial que représente cette crise. Éviter un affaissement de la demande globale pour éviter d’entrer dans une spirale déflationniste est plus que jamais nécessaire.

En tant qu’école, les talents que nous formons vont être un élément clé pour les entreprises qui font face à la crise – et je pense en premier aux PMEs et ETIs qui souffrent le plus des récessions, que ce soit en France, en Europe, en Afrique ou en Asie, alors qu’elles sont le maillon essentiel de l’emploi et de la croissance. Pour nos jeunes diplômés, ces entreprises sont un terrain idéal pour faire valoir toute l’étendue de leurs compétences, où faire valoir leur leadership en exerçant des responsabilités concrètes, et où accomplir un travail qui ait du sens.

L’ESSEC sera au rendez-vous pour soutenir et accompagner les entreprises, les organisations, les pouvoirs publics et la société dans ces défis majeurs.

EA : On parle beaucoup du monde d’après. Mais le monde d’après, s’il y en a probablement un, comment le voyez-vous ?

V. Vinzi : Comment sera le monde d’après, nul ne peut le dire aujourd’hui. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il revient à nous tous, en tant qu’école, en tant que communauté, en tant que citoyens, en tant que société, de le construire. Car si nous restons les bras croisés, nous allons le subir. Pour cela, nous devrons nous appuyer sur notre esprit pionnier et entrepreneurial pour innover et imaginer de nouvelles normes sociétales, économiques et comportementales, de nouvelles façons de travailler, d’être en relation les uns avec les autres, de développer de nouvelles activités, de nouveaux produits et de nouveaux services, qui soient pérennes et qui permettent de lutter tant contre la pauvreté que contre les discriminations et les inégalités.

O. Cantet : J’ai été frappé lors de nos Zooms collaboratifs avec les alumni par l’unanimité des réponses personnelles à la question sur « le jour d’après », une fois le virus maîtrisé. Tous et toutes, vous me parliez des nouvelles choses que vous aimeriez faire. Retrouver les habitudes d’hier n’apparaissait pas. Cela ne sera évidemment pas aussi facile à réaliser dans la vraie vie. Mais nous avons expérimenté une sobriété forcée et souvent heureuse. Nous sommes très nombreux à aspirer à une relance économique qui soit une transition accélérée vers une économie plus écologique, plus inclusive. Plus soutenable pour tous. La propagation massive du virus ressemble moins à un accident qu’à la conséquence de certains excès. 

Les solutions ne sont pas toutes disponibles. Il va falloir en inventer quelques-unes et les mettre en œuvre. L’ESSEC et ses alumni vont y contribuer. Il y a un rôle que nous partageons avec Vincenzo Vinzi : inspirer les leaders d’aujourd’hui et de demain pour construire un monde meilleur autour de nos valeurs humanistes. L’école est déjà engagée – notamment au travers de l’initiative Together, qu’ESSEC Alumni soutient activement – et va orienter la puissance de sa recherche dans la même direction. Pour en faire profiter les alumni, nous allons nous aussi partager cette orientation, notamment au travers du programme « Lifelong Learning ». Par ailleurs, de nouveaux cercles de réflexion et d’échange par thématiques transverses (développement durable, égalité des chances…) seront peut-être nécessaires pour compléter les communautés déjà existantes. Réseaux physiques ou purement digitaux ? Tout est à inventer ensemble. Appel aux candidats ! Soyons pionniers pour ouvrir une voie nouvelle qui soit différente de celles que nous avons empruntées hier.


Propos recueillis par Philippe Desmoulins (E78), directeur d’ESSEC Publications, et François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets ESSEC Magazine

Paru dans Reflets #133 spécial COVID-19. Pour recevoir les prochains numéros du magazine Reflets ESSEC, cliquer ici.

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