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Reflets Mag #158 | Benoît Chervalier, prof ESSEC : « L’Afrique n’est pas uniforme »

Interviews

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16/07/2025

L’Afrique est souvent conjuguée au singulier alors qu’il s’agit d’un ensemble très hétérogène, culturellement, politiquement, économiquement. Une analyse proposée par Benoît Chervalier, directeur exécutif de la Chaire ESSEC Business & Industrie en Afrique, dans Reflets Mag #158. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !

Reflets Magazine : Quelles sont les données clés à retenir sur l’économie africaine ?

Benoît Chervalier : L’Afrique, c’est 1,4 milliard d’habitants en 2025, 54 pays répartis sur une superficie d’environ 30 millions de km2, soit l’équivalent des États-Unis, de la Chine, de l’Inde et de l’Europe. L’Afrique, c’est aussi un âge médian de 20 ans et une population de 2,5 milliards d’habitants à l’horizon 2050, soit la première population active du monde dans un contexte où plusieurs grands pays du monde, du Japon à la Chine, de l’Allemagne à la Corée, verront leur population baisser substantiellement. L’Afrique, c’est un PIB d’environ 3 000 milliards de dollars, ce qui correspond globalement à l’économie indienne aujourd’hui.

RM : Au-delà de ces chiffres, peut-on considérer l’Afrique comme un ensemble économique à part entière avec des enjeux à la fois communs à tous ses pays et distincts du reste du monde ?

B. Chervalier : L’Afrique est souvent conjuguée au singulier, par les médias, les organisations, les opinions publiques, alors qu’il s’agit d’un ensemble très hétérogène, culturellement, politiquement, économiquement. Sur ce dernier plan, on peut distinguer ce que j’appelle les « trois blocs africains ». Premier bloc : les 7 économies dominantes qui représentent 68 % du PIB du continent. Deuxième bloc : les 9 économies intermédiaires, dont la Côte d’Ivoire et la Tanzanie, avec 17 % du PIB. Troisième bloc, de loin le plus nombreux et fragmenté : les 37 petites, voire très petites économies, avec 12,6 % du PIB.

RM : Quels sont les grands enjeux de ces différents blocs ?

B. Chervalier : Les pays du troisième bloc ont besoin d’améliorer leur intégration économique en renforçant d’une part le commerce intra-africain, d’autre part leur attractivité extérieure. Mais comment attirer des capitaux et des investissements étrangers dans un pays dont le poids économique est comparable à celui d’une ville moyenne européenne ou d’une petite ville chinoise, et dont la réglementation et la fiscalité sont à la fois complexes et singulières ? C’est tout l’objet du traité d’établissement de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). À l’autre bout du spectre, les grandes économies comme le Nigéria, l’Afrique du Sud ou l’Égypte, qui disposent d’un marché domestique suffisamment profond, n’en gagneraient pas moins à jouer collectif plus souvent. Ce sujet me paraît mal traité aujourd’hui et imposerait de trouver une voie intermédiaire entre une approche purement continentale, globale, très difficile, et une approche pays par pays, chacun pour soi, très périlleuse.

RM : Des tendances se dessinent-elles parmi les différentes économies africaines ? Lesquelles ?

B. Chervalier : Qu’on remonte à 5, 10 ou 15 ans, les trajectoires varient énormément. Certains pays se démarquent par leur dynamisme et leur capacité à innover et à réformer : le Maroc, le Bénin ou encore la Côte d’Ivoire affichent ainsi un taux de croissance vigoureux – 7 % par an en moyenne depuis 15 ans pour la Côte d’Ivoire. D’autres à l’inverse, comme la Tunisie ou l’Afrique du Sud, réalisent des performances médiocres liées à des politiques contestables et des défis internes. Ajoutons à ces deux catégories les pays en crise voire en guerre, comme le Soudan ou la Libye, et les pays en proie à de nombreux paradoxes, pauvres et riches à la fois, simultanément innovants et paralysés, comme le Nigéria. Le FMI estime que l’Afrique clôturera l’année 2025 avec un taux de croissance moyen de 3,8 %, mais vous aurez compris que ce chiffre n’a pas grand sens.

RM : Quelles sont les perspectives pour les économies africaines ?

B. Chervalier : Là encore, on constate quelques similitudes et de nombreuses divergences. L’Afrique du Nord n’affiche aucune homogénéité : le Maroc est en pleine mutation économique, l’Algérie se montre plutôt fermée sur le plan commercial, la Tunisie affronte des défis de tout ordre. L’Afrique de l’Ouest connaît la dynamique la plus forte et la mieux partagée, mais le Nigéria fait exception, avec une croissance molle conjuguée à une démographie galopante (le pays est en passe de devenir le troisième plus peuplé du monde) – tandis que la volonté d’autonomisation des pays de l’Alliance des États du Sahel pourrait changer la donne régionale. L’Afrique centrale est marquée par sa dépendance aux activités extractives mais les stratégies varient : si le Cameroun, le Gabon, le Congo et le Tchad s’engagent sur la voie de la diversification et de l’après-pétrole ou gaz, la République démocratique du Congo et la Guinée, richement dotées en bauxite, nickel ou cobalt, peinent à développer leurs capacités de transformation locales et à renforcer leurs règles de bonne gouvernance et de « fair value », de sorte que la valorisation de leur production reste captée par des puissances étrangères. L’Afrique de l’Est est pour l’heure portée par le Kenya et l’Éthiopie, mais l’un fait face à des défis budgétaires, l’autre à des défis politiques, notamment avec le Tigré et l’Égypte. Enfin, l’Afrique australe offre un tableau paradoxal : l’Afrique du Sud, première économie du continent, pâtit d’une croissance atone liée à une multitude de problèmes structurels, pendant que des pays beaucoup plus modestes, comme Maurice, se développent grâce à des secteurs porteurs. En un mot, l’Afrique n’est pas uniforme.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

Paru dans Reflets Mag #158. Voir le numéro exceptionnellement en accès libreRecevoir les prochains numéros.


Image : © AdobeStock

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