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Mickaël Berrebi (E13), auteur : « L’homme continuera à dominer la machine »

Interviews

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29/08/2019

Dans La nouvelle résistanceMickaël Berrebi (E13) décrit comment citoyens, startups, hackers et ONG s’organisent pour limiter le pouvoir des géants du numérique. Rencontre.

ESSEC Alumni : Dans votre précédent ouvrage, L’Avenir de notre liberté, vous tiriez déjà la sonnette d’alarme sur les menaces que font peser les GAFA sur la démocratie. Quel tableau dressez-vous de la situation dans votre nouveau livre ? 

Mickaël Berrebi : Dans L’Avenir de notre liberté, nous mettions en avant l’influence des GAFA dans notre société. Une puissance politique, technologique et financière qui n’a, en soi, rien de très original si l’on devait la comparer à celle des grands trusts de l’histoire économique moderne. En fait, la nouveauté liée aux GAFA réside dans leur capacité à imposer leur vision et leur projet sociétal. Ils ont parfaitement su se substituer aux politiques, incapables de définir et maîtriser leur avenir technologique.
Les changements sociétaux ne sont cependant jamais impulsés par des politiques. Au contraire, ils sont le produit de multiples remises en cause, souvent ignorées au départ car portées par des minorités. Décrire ces phénomènes de résistance est justement l’une des ambitions de notre dernier ouvrage, La nouvelle résistance.

EA : Quelles formes de résistance avez-vous identifiées ?

M. Berrebi : Différents foyers de contestation émergent, un peu partout dans le monde, tant sur des sujets reliant technologie et société, comme les fake news, la confidentialité des données, ou encore les dérives liées à l’optimisation fiscale et l’abus de position de dominante, que sur des sujets plus philosophiques, tels que la déification de la technologie, la virtualisation à outrance, et la peur de l’homme liée à son remplacement annoncé par la machine. Dans notre livre, notre position est claire : l’homme, comme toujours, continuera à dominer la machine.

EA : Comment analyser ces différents mouvements de résistance ? 

M. Berrebi : Nous avons choisi de nous réapproprier le modèle bien connu de l’économiste Albert Hirschman. Pour Hirschman, lorsque l’on se trouve confronté à une baisse dans la qualité de biens ou de services délivrés par une entreprise, trois réponses sont possibles. La première, Exit, consiste à faire défection, et aller ailleurs. La deuxième, Voice, consiste à prendre la parole pour faire part de son mécontentement. Et la troisième, Loyalty, concerne celles et ceux qui préfèrent rester loyaux envers l’entreprise prestataire en raison des coûts de sortie jugés trop élevés. Nous avons ajouté une quatrième voie au modèle de Hirschman, qui consiste à proposer une alternative tangible et en totale rupture avec l’état des choses en cours. C’est cela que l’on appelle la nouvelle résistance.

EA : Auriez-vous un exemple pour illustrer cette nouvelle résistance ? 

M. Berrebi : Prenons le cas des personnes qui s’opposent à la virtualisation à outrance. Une extrême minorité de réfractaires opte pour la défection, en choisissant de vivre déconnecté ou en prônant le retour au matériel. On peut penser au regain d’intérêt pour les vinyles au détriment du streaming audio, ou encore au retour de la machine à écrire assumé par certains services secrets. D’autres choisissent d’alerter, comme par exemple l’organisation Time Well Spent fondée par l’ex-Google Tristan Harris et d’autres anciens de la Silicon Valley sur les sujets d’addiction au numérique. D’autres encore repensent leur conception et leur utilisation de la technologie au quotidien, sans toutefois y renoncer. C’est le cas du mouvement « Slow Tech ».

EA : Quels résultats ces formes de résistance obtiennent-elles ?

M. Berrebi : En fonction des sujets traités, les formes de résistance sont à un stade plus ou moins avancé. Globalement, nous n’en sommes encore qu’au début, mais dans certains domaines, quelques affaires ont permis d’accélérer le processus de persuasion auprès de la majorité, comme par exemple l’affaire Facebook – Cambridge Analytica.

EA : Comment réagissent les géants du numérique face à ces contestations ?

M. Berrebi : Certains GAFA tentent de réajuster leur positionnement et leurs discours. Google devenait Alphabet en 2015, donnant ainsi l’impression aux investisseurs d’une séparation des différentes activités du Groupe ; Gmail arborait un « mode confidentiel » à l’été 2018 ; Mark Zuckerberg annonçait début 2019 sa volonté de renforcer la protection de la sécurité des utilisateurs, etc.

EA : Quelles actions reste-t-il à mener pour renverser la tendance ? 

M. Berrebi : Deux conditions doivent être réunies. La première, bien sûr, c’est de réussir le passage d’une minorité au collectif. Les résistants n’ont ni la force, ni la compétence, ni le nombre pour imposer leur point de vue. À eux de persuader et de rallier autour d’eux.

EA : Et la deuxième condition ? 

M. Berrebi : L’autre condition est de proposer un projet politique alternatif. Même si les grands mouvements de résistance dans l’Histoire se résument souvent à une action ponctuelle ou une date clé, ils s’inscrivent en réalité dans la durée et sont le fruit d’un projet de société réfléchi avec une vision politique à long terme. Il ne suffit donc pas de « faire défection » à la technologie, ou de « prendre la parole » pour dénoncer les dérives observées. Il est crucial, pour les nouveaux résistants, d’accompagner leurs manœuvres par des alternatives concrètes et un projet politique à court, moyen et long terme.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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