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Jean-Pierre Blin (EXEC MBA 12) : « Nous lançons des missions scientifiques à la voile pour protéger l’océan »

Interviews

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02/02/2022

Consultant sur terre, océanographe en mer : découvrez la double vie de Jean-Pierre Blin (EXEC MBA 12) qui, en parallèle de ses missions en banque, organise des expéditions maritimes scientifiques avec sa SAS à raison d’être Blue Observer. 

ESSEC Alumni : Comment est née Blue Observer ? 

Jean-Pierre Blin : Nous sommes partis d’un double constat. D’une part, les bateaux de course sont sous-utilisés en dehors des périodes de compétition. D’autre part, les missions océanographiques actuelles reposent soit sur des flottes dédiées nécessitant un temps de préparation important, soit sur des navires non spécialisés armés de manière ponctuelle ; or ces deux alternatives posent des problèmes de flexibilité et de coût, et fonctionnent en général avec une propulsion motorisée qui, non contente d’impacter l’environnement, engendre une pollution sonore compliquant certaines expérimentations, observations ou collectes. D’où l’idée de reconvertir d’anciens voiliers pour les consacrer à des expéditions maritimes scientifiques.

EA : Quelles ont été les étapes de développement de votre projet ?

J.-P. Blin : Nous avons débuté en lançant le fonds de dotation Iodysseus, consacré à l’étude du plancton et des blooms planctoniques. Celui-ci a été reconnu par les Nations Unies au bout de quelques années comme programme des sciences de l’océan pour le développement durable. Cette première expérience nous a confirmé la pertinence du concept. Nous avons alors fait l’acquisition d’un navire assez connu, car détenteur du record du tour du monde à la voile contre vents et courants, et adapté à nos besoins, car à la fois rapide, décarboné et doté des capacités d’emport nécessaires pour pouvoir l’équiper d’une instrumentation scientifique, pour des coûts associés jusqu’à 20 fois inférieurs à ceux d’un bateau à moteur. C’est ainsi qu’est née Blue Observer.   

EA : Aujourd’hui, quelles activités menez-vous ?

J.-P. Blin : Nous souhaitons contribuer à la compréhension et à la protection des océans ainsi qu’au développement d’une croissance bleue durable. Dans cette optique, nous mobilisons une équipe spécialisée en océanographie, en microbiologie et en instrumentation pour réaliser des missions de prélèvement d’échantillons, de recueil de données, de déploiement d’instruments ainsi que d’observation. Nous disposons en outre d’une cellule de communication avec un mediaman embarqué qui peut mettre du contenu vidéo et photo à disposition quand il existe des enjeux de communication autour des missions confiées.

EA : Qui commandite vos expéditions ?

J.-P. Blin : En tant qu’opérateur maritime, nous fonctionnons le plus souvent en répondant à des sollicitations d’organismes de recherche publics ou privés. Cependant nous développons aussi notre propre R&D et effectuons parfois du co-développement. Par exemple, nous coopérons actuellement avec la Station Biologique de Roscoff pour mettre en place une souchothèque d’aérosols marins qui fera référence mondiale en matière de microbiologie marine. Par ailleurs nous proposons un service d’élaboration de programmes RSE – notamment autour des grands cétacés – pour entreprises désireuses de s’associer à la protection des océans sous forme de partenariats.  

EA : Quel est votre modèle budgétaire ?

J.-P. Blin : Notre modèle repose sur la mutualisation : nous catalysons et agrégeons les besoins de différents acteurs, ce qui nous permet de maximiser les moyens et le nombre de jours de mer dont ils peuvent bénéficier. Par exemple, le CNRS de Clermont Auvergne et l’Université de Laval au Canada manquaient de moyens pour une étude sur 20 jours en Atlantique Nord ; nous l’avons rendue possible en mettant les jours de navigation nécessaires en commun avec une mission de déploiement de flotteurs Argo. Dans le même esprit, nous mettons souvent en relation les entreprises qui nous sollicitent pour développer des programmes RSE et nos partenaires en recherche de financement pour leurs missions.

EA : Qui sont vos partenaires ?

J.-P. Blin : Côté institutionnel, nous portons les couleurs d’Ocean OPS, de l’Organisation Météorologique Mondiale, de l’UNESCO et de l’Ocean Decade de l’ONU. Côté entreprises, nous travaillons principalement avec Cegelec, Axciss ainsi que le groupe LRJ. Nous bénéficions aussi du soutien actif de la ville de Brest et de la région Bretagne. Pour la partie instrumentation, nous collaborons  avec des acteurs nord-américains de référence, parmi lesquels la Woods Hole Oceanographic Institution, la NOAA et Argo Canada, mais aussi des Européens comme Euro Argo ou Météo France. Pour la partie microbiologie, nous coopérons avec la Station Biologique de Roscoff et le CNRS de Clermont Auvergne.

EA : Quelle est votre expédition la plus marquante ? 

J.-P. Blin : Nous achèverons en mars notre première mission de plus de 100 jours de mer, depuis Brest à travers l’Atlantique Nord, jusqu’à Sainte-Hélène puis le long du continent africain. Cette expédition sert plusieurs objectifs. Primo, déployer 95 flotteurs Argo, qui jouent un rôle essentiel dans l’élaboration des prévisions météorologiques et climatiques. Deuxio, prélever un grand nombre d’échantillons, notamment aérosols, pour améliorer notre connaissance de l’ADN planctonique, qui reste lacunaire même si 13 prix Nobel de médecine peuvent être liés à la production marine ! Tertio, tester un protocole d’observation de grands cétacés élaboré avec la Woods Hole Oceanographic Institution, pour mieux évaluer leur rôle dans le piégeage du carbone et l'augmentation des stocks de poissons – une étude à fort enjeu, à l’heure où certains économistes du FMI affirment que les baleines pourraient ainsi contribuer aux services écosystémiques mondiaux à hauteur de 2 millions de dollars par tête.

EA : Quelles sont vos perspectives à moyen et long terme ? 

J.-P. Blin : Nous nous efforçons de pérenniser la structure autour de 3 axes. D’abord, le renforcement de notre rôle d’opérateur maritime, qui passera par l’extension de notre flotte. Ensuite, le développement d’innovations en propre ou en partenariat, un peu sur le modèle d’un start-up studio spécialisé ; nous sommes déjà engagés sur cette voie avec la souchothèque ou encore notre projet 3R – pour récupération, recyclage et remise en état – qui vise à proposer un modèle d’exploitation circulaire pour nos navires. Enfin, la structuration de nouveaux programmes RSE performants autour de l’océan ; car nous sommes convaincus que la protection des milieux maritimes ne passe pas seulement par une logique de compensation et de réduction des émissions, mais aussi par des efforts de compréhension et de pédagogie.

EA : Comment les alumni peuvent-ils soutenir vos activités ?

J.-P. Blin : Faites connaître nos actions, aidez-nous à créer des ponts avec des équipes de R&D ou de RSE susceptibles d’être intéressées… Tout le monde est concerné : il faut garder à l’esprit que l’océan couvre 70,8 % de la surface de notre planète, qu’il absorbe 30 % de nos émissions de CO2, qu’il produit 50 % de l’oxygène que nous respirons et qu’il constitue la principale source de protéines animales pour un milliard d’êtres humains. Sans compter son impact économique, qui est appelé à doubler d’ici 2030. Le défi est énorme – tout comme le potentiel !

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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