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Reflets Mag #150 | Marine Orlova (E08), l’effeuilleuse entrepreneuse

Interviews

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12/12/2023

Dans Reflets Mag #150, Marine Orlova1 (E08) raconte comment elle est devenue effeuilleuse burlesque, luthiste et photographe, à l’occasion de son nouveau seule-en-scène Sucre d'Orge vous montre son luth à La Divine Comédie (Paris). Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !

Faut-il y voir un signe ? À la sortie de l’ESSEC, Marine Orlova débute en tant que vendeuse de lingerie fine, chez Chantal Thomas. « Certes, j’appréciais déjà les produits de la marque. Mais à l’époque, je m’intéressais surtout au secteur du luxe. » Puis elle rejoint une agence de communication et marketing spécialisée dans les e-mailing B2B. « Je m’efforçais de suivre les voies toutes tracées après une école de commerce. »

Cependant elle peine à s’épanouir. « La vie de bureau ne me convenait pas. Je ne me sentais pas assez libre. » Elle cherche une échappatoire en développant une pratique artistique en parallèle. « J’ai d’abord repris des cours de danse. Puis je suis tombée sur un atelier d’initiation à l’effeuillage burlesque. » Un premier déclic s’opère.

Découverte

De là à se dénuder en public… « Le seul fait d’envisager le spectacle de fin d’année me donnait des sueurs froides. » Jusqu’au jour où une autre élève lui propose de participer à des séances de modèle vivant. « Elle m’a demandé d’improviser un petit spectacle pour varier les poses. J’ai effectué un numéro d’effeuillage de poupée mécanique. » Une entrée en matière en douceur et en petit comité qui lève ses freins. « Les dessinateurs se focalisent sur le trait, les lignes, les volumes. Je n’avais pas à me soucier de mon soutien-gorge, seulement de la qualité d’exécution de mes gestes. »

Mise en confiance, elle prend goût à l’exercice. « J’ai commencé à me produire sur les scènes parisiennes. D’abord une fois par mois, puis une fois par semaine… » Elle bénéficie du regain d’intérêt à l’époque pour le burlesque, notamment sous l’influence de Dita von Teese et du film Tournée de Mathieu Amalric. « Le bouche-à-oreille a fait le reste. »

La vérité toute nue

Marine Orlova mène une double vie pendant sept ans. « Je cachais à mes employeurs ce que je faisais de mes soirées de peur d’être renvoyée… En réalité ils avaient découvert le pot aux roses en me voyant dans un reportage de l’émission Paris Dernière mais ils ont respecté mon silence sur le sujet. »

Pour autant, cette existence finit par devenir intenable. « Je travaillais jour et nuit. » Elle négocie alors une rupture conventionnelle et se donne un an pour vivre de son art. Elle ne reviendra jamais en arrière. « Les opportunités ne manquent pas. On m’appelle pour des performances dans des cabarets mais aussi pour des animations dans des clubs, des fêtes, des enterrements de vie de jeune fille ou encore des événements en entreprise. Par exemple, la marque L’Or a sollicité le Burlesque Klub, avec lequel je travaille souvent, pour qu'on se produise dans une soirée à thème années 1930 à l’occasion du lancement d’une gamme de café. » Elle part aussi parfois en tournée à l’international, de l’Australie à la Chine, pour diverses prestations corporate.

De fait, ses activités comportent une véritable dimension entrepreneuriale. « J’ai un statut de freelance, j’assure ma promotion sur les réseaux sociaux, je négocie mes contrats, je gère mon budget – qui peut s’avérer élevé : le coût de certains costumes sur les scènes burlesques frôle les 10 000 €. » Une dépense à considérer comme un investissement, amorti au fil des représentations. « Une commission du ministère de la Culture se penche actuellement sur notre secteur. Les pouvoirs publics ont pris conscience que nous n’étions pas toujours éligibles aux critères de sélection des aides existantes alors même que nous devions engager des dépenses importantes pour notre discipline. À suivre… »

Renaissance en bas résille

Marine Orlova n’a pas seulement atteint l’indépendance financière ; elle a aussi et surtout su imposer son univers. « Je voulais un nom de scène qui ne me fige pas dans un certain répertoire. J’ai opté pour « Sucre d’orge », qui se veut simplement décalé, poétique, et qui traduit bien le contraste sur lequel j’aime jouer entre mon apparence assez innocente et mon propos plus piquant. J’aime me placer là où on ne m’attend pas – chanter des madrigaux Renaissance puis faire un duo avec une drag queen ou réaliser un tour de magie avant de déblatérer des horreurs en bas résille… »Au fil des années, elle a composé plusieurs personnages. « Je peux incarner un flamant rose à partir d’un éventail en plumes ou une écuyère qui se transforme en cheval dans un costume tout en latex. » Il lui est même arrivé de se faire passer pour une chercheuse sur l’estrade d’un colloque universitaire consacré à Georges Bataille, à la demande de ses anciens professeurs de l’ESSEC Yann Kerninon et Laurent Bibard (E85). « Il s’agissait d’exposer un faux cas pratique… Personne n’était prévenu de la supercherie et plusieurs ont pris l'intervention au sérieux. Probablement mon rôle le plus subversif ! »

Plus récemment, elle a aussi lancé son seule-en-scène, Sucre d’orge vous montre son luth, qu’elle présente le troisième jeudi de chaque mois à La Divine Comédie (Paris) jusqu’en décembre. « Un récital polisson et instructif où j’interprète avec mon luth des tubes qui ont animé les cours des châteaux et les campings de la Renaissance à nos jours : John Dowland, Mylène Farmer, Nicolas Vallet, Guesch Patti, Air, Pierre de Ronsard… »

Corps et femme

Marine Orlova compare le burlesque à un gant qui épouse la forme de n’importe quelle main. « Un numéro peut être comique ou non, narratif ou non, militant ou non… » Si elle se positionne plutôt du côté du divertissement, elle ne sous-estime pas la portée politique de toute proposition artistique – dont celle de se déshabiller face à une audience. « Aujourd’hui, la nudité du corps féminin convoque nécessairement l’enjeu du féminisme. Or précisément, à mon sens, tant qu’on exerce non seulement dans les limites de la légalité mais aussi dans le respect du consentement, on s’inscrit bien dans le cadre de l’émancipation, de la liberté individuelle et du droit à disposer de son corps. »

D’ailleurs, l’effeuillage soulève aussi les enjeux du « body positivisme », mouvement de pensée appelant à valoriser toutes les morphologies. « On voit des physiques très différents dans le milieu, et de tous les âges. La beauté de l'effeuillage réside justement dans la singularité des formes révélées et des créations présentées. » Et le regard bienveillant du public peut constituer, pour celles et ceux qui nourrissent des complexes, un puissant moyen de mieux s’accepter, s’assumer, s’affirmer. « C’est une motivation parmi d’autres – pour les femmes comme pour les hommes. »

Car ces derniers sont de plus en plus nombreux à embrasser la profession. « De même que les deux tiers de nos spectateurs sont en réalité des spectatrices. Autre signe que notre métier ne relève pas de l’exploitation pour le loisir de ces messieurs ! »

Les dessous du spectacle

Dernièrement, Marine Orlova prolonge sa démarche de mise à nu en photographiant les coulisses des cabarets qu’elle fréquente, comme le Cabaret Burlesque à la Nouvelle Seine, Le Secret, Le Cabaret de poussière… « Je me balade dans les loges avec le Leica de ma grand-mère. J’en tire des clichés argentiques que j’expose à l’occasion. » Elle prépare en outre un ouvrage qui compilera ses images et les enrichira de textes d’autofiction. « Il s’agit peut-être pour moi de contrebalancer la fugacité du spectacle vivant en fixant ses plus beaux moments sur pellicule. » À paraître début 2024.

 

En savoir plus :
sucredorge-burlesque.com
marineorlova.com
billetreduc.com/323316/evt.htm

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

Paru dans Reflets Mag #150. Voir un aperçu du numéro. Recevoir les prochains numéros. 


Image 1 : © Mathilde Marc

Image 2 : © Jean R Hiebler


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