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Ludovic de Nicolay (E10) : « Mes 3 principes face au COVID-19 : subsidiarité, solidarité, réalité »

Interviews

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26/05/2020

Ludovic de Nicolay (E10), directeur général adjoint du groupe ZeKat, témoigne des choix auquel il est confronté en tant que dirigeant depuis le début de la crise du COVID-19. Une source d’inspiration et de réflexion pour tout manager. 

ESSEC Alumni : Pouvez-vous nous présenter vos activités ? 

Ludovic de Nicolay : Je suis directeur général adjoint de 3 filiales au sein d’un groupe de 200 personnes spécialisé dans les hautes technologies autour de la mécatronique. Notre activité est réalisée à 60 % en France et à 40 % en Europe auprès de grands comptes industriels, de PME et de startups de l’IoT.

EA : Comment avez-vous réagi à la crise du COVID-19 ?

L. de Nicolay : Nous nous sommes d’abord demandé s’il y avait un sens à maintenir nos activités. D’un côté, celles-ci ne sont pas directement liées à la lutte contre le virus ni à l’économie primaire. De l’autre, elles fournissent des briques de communication nécessaires au fonctionnement de secteurs clés comme l’agriculture, l’énergie, l’industrie, le transport et la logistique.

Ceci étant posé, nous nous sommes demandé dans quelles conditions continuer. Quel niveau d’activité maintenir ? Avec quels impacts économiques et sanitaires ?

EA : Quelle a été votre réponse ? 

L. de Nicolay : Nous avons fait le choix de maintenir notre activité au maximum (dans les limites permises par le contexte), et de recourir à l’activité partielle au minimum, pour trouver le juste équilibre entre protection de chacun et du collectif à travers l’économique.

EA : Une fois prise la décision de maintenir vos activités, quel fonctionnement avez-vous mis en place ?

L. de Nicolay : Nous avons respecté plusieurs principes. En premier lieu : le principe de subsidiarité1, auquel je crois profondément. L’idée, c’est que la prise de décision intervienne au plus bas niveau possible. Il faut partir de la base, qui remontera ensuite ses difficultés le cas échéant. Cette approche nous était familière : notre organisation a toujours incité à un fort degré d’autonomie et de liberté dans la prise de décision à chacun des niveaux hiérarchiques.

EA : On peut aussi considérer que c’est un principe qu’a adopté le gouvernement avec les entreprises, en laissant un certain degré de liberté dans la définition du confinement…

L. de Nicolay : Tout à fait. Cela nous a certes empêchés de nous raccrocher à des directives, des normes, des processus construits par d’autres, et nous a obligés à nous remettre en question, à prendre le risque de nous tromper, à engager notre responsabilité personnelle… Mais cela nous a aussi permis de réfléchir pour apporter la meilleure réponse à notre contexte local, unique et mouvant. Après tout, qui était mieux placé que nous-mêmes pour évaluer nos propres risques et enjeux ? Et puis, quel épanouissement que de se sentir impliqué !

EA : Quels autres principes vous paraît-il pertinent d’avoir en tête dans ce contexte de crise ?

L. de Nicolay : Un autre principe est le principe de réalité, qui consiste à habiter le monde tel qu’il est et non pas tel que nous souhaiterions qu’il soit, comme l’explique très bien Pierre-Yves Gomez2. La crise actuelle est une crise de l’économie réelle, productrice, créatrice de valeur tangible et directe, matérielle comme intellectuelle. Elle rappelle l’importance de la valeur ajoutée perçue par la société civile par rapport à la valeur ajoutée strictement financière.

EA : Est-ce une critique du monde financier et de son rôle dans l’économie actuelle ?

L. de Nicolay : Entendons-nous : la finance pour accompagner la création de valeur est bonne. Mais la financiarisation3 pour elle-même, l’innovation pour l’innovation, conduisent à perdre le sens des réalités. En témoignent ces investisseurs qui quittent le chevet des industries en difficulté pour aller chercher le secours des États afin de combler leur manque d’ancrage dans l’économie réelle… Aujourd’hui, un investisseur reste en moyenne 11 jours au capital d’une entreprise : comment ce laps de temps peut-il lui permettre d’être aux prises avec la réalité – ou le réalisme – du projet qu’il prétend appuyer ?

EA : Vous ne croyez pas aux promesses de l’écosystème start-up ?

L. de Nicolay : Je pense qu’il y a une mise en avant excessive du monde des startups et des fonds d’investissement. Bien sûr de belles idées naissent et se développent dans cet écosystème. Mais celui-ci a eu tendance ces derniers temps à alimenter une croyance en une croissance perpétuelle et exponentielle, tout à fait irréaliste.

Je l’ai constaté récemment en étudiant plus de 20 dossiers de startups pour un éventuel rachat par ZeKat. À chaque dossier, j’ai été interloqué par l’écart entre notre vision du marché de l’IoT et les promesses de rentabilité affichées par nombre d’entrepreneurs. Ceux-là sont en complet décalage avec notre philosophie : comme le dit notre PDG Pascal Denoël, nous cherchons davantage à construire une histoire commune qu’à répondre à une exigence de croissance. Ce qui me renvoie à un autre principe qui m’est cher : le principe de solidarité4.

EA : Quelles formes la solidarité peut-elle prendre dans le monde de l’entreprise ?

L. de Nicolay : Dans l’industrie, nous avons vu des prêts de main d’œuvre et des initiatives de fabrication ou d’approvisionnement de matériel sanitaire. Merci à tous ceux qui ont mis à disposition des imprimantes 3D, des stocks de composants, des masques ou des blouses ! Nous avons aussi senti la solidarité des travailleurs, avec des gens prêts à assurer leurs missions sur sites malgré leurs peurs, à adapter leurs horaires et à assumer le télétravail malgré la charge d’enfants, à prendre des vacances imposées ou à passer au chômage partiel pour soulager leur employeur. Merci également à eux ! Comme l’explique Bernard Ennuyer5, nous ne pouvons concevoir d’autonomie sans dépendances multiples.

EA : Comment cette notion de dépendances multiples s’applique-t-elle à l’entreprise ? 

L. de Nicolay : Plus l’entreprise devient complexe et importante, plus elle développe des dépendances diverses avec ses sous-traitants, ses partenaires, ses clients, ses collaborateurs. Cette dépendance implique de s’appuyer sur un choix autonome d’entraide. Chez ZeKat, cela s’est manifesté par le fait d’échanger avec nos partenaires pour nourrir notre réflexion et alimenter nos décisions au début de la crise – en plus de la solidarité financière, aucun de nos partenaires n’ayant profité de la situation pour se dérober à ses engagements.

EA : Le mot de la fin ?

L. de Nicolay : Je ne sais pas ce que cette crise changera, ni ce qu’il en restera, mais nous devrons certainement repenser notre projet commun. Ce témoignage ne se veut en aucun cas une analyse poussée ou une leçon de vie : la prise de recul n’est pas encore suffisante, et le propre de cette crise est de mettre à mal toutes nos certitudes. Mais il me paraît important et opportun d’ouvrir le dialogue et d’inciter à la réflexion.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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1 Julien Barroche, « La subsidiarité. Le principe et l'application », Études, vol. tome 408, no. 6, 2008, pp. 777- 788.

2 https://pierre-yves-gomez.fr/pierre-yves-gomez-interviewe-par-lincorrect-22-il-faut-arreter-de-croire- aveuglement-au-fatalisme-economique/

3 Pierre-Yves Gomez, L’esprit malin du capitalisme, Desclée de Brouwer, 2019


4 Sous la direction de Christelle Chauzal-Larguier, Sébastien Rouquette, La solidarité, une affaire d'entreprise ?, U. Blaise Pascal Clermont-Ferrand, 2018

5 Bernard Ennuyer, Les malentendus de l'« autonomie » et de la « dépendance » dans le champ de la vieillesse, Le sociographe, 2003

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