Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Reflets Mag #157 | L’aventurière bipolaire

Interviews

-

03/06/2025

Léa Vigier (E19) a d’abord subi sa maladie. Avant d’en faire le moteur d’une vie d’aventures suivie par des millions d’internautes. Elle fait le récit de ce renversement dans Reflets Mag #157. Découvrez l’article exceptionnellement en accès libre… et abonnez-vous !

Pendant longtemps, le même schéma se répète. Léa Vigier décroche un poste qui l’enthousiasme, se donne à fond un an ou deux, puis s’effondre. Elle perd alors tout : non seulement son travail et son logement, mais jusqu’à l’envie de vivre. « Il m’arrivait de m’attacher les poignets la nuit pour m’empêcher de me tailler les veines. » Elle interprète chaque crise comme une forme de burn-out et s’en sort en rebondissant vers de nouvelles activités : coworking en Côte d’Ivoire, coaching de dirigeants en Nouvelle-Calédonie, édition de logiciels puis agence de marketing en France…

Jusqu’au jour où une coach lui demande ce qu’elle rêvait, enfant, de devenir. « J’ai répondu : aventurière. » Elle n’a jamais envisagé d’en faire un métier. « Jusque-là, je me lançais des défis pendant mes vacances : effectuer l’ascension de l’Himalaya, parcourir le Togo en m’invitant chez l’habitant, plonger à grande profondeur en apnée, voyager en jouant mes décisions aux dés… »

Elle se rend compte que le récit de ces expériences peut trouver un public. « J’ai notamment découvert Ulysse Lubin : il rassemble plus de 100 000 followers sur LinkedIn avec ses challenges à travers le monde… et il en vit. » Pourquoi pas elle ?

Le grand tournant

C’est à ce moment que Léa Vigier est diagnostiquée bipolaire. « Avec le recul, ça paraît évident. La bipolarité entraîne des variations extrêmes de l’humeur, avec des phases d’exaltation et d’hyperactivité cérébrale et physique, durant lesquelles on a l’impression d’avoir des capacités surhumaines, et des phases de dépression profonde, où on n’a même plus la force de sortir du lit. Exactement les cycles que je traversais régulièrement. »

En réalité, la maladie n’est pas si simple à repérer. « Il faut généralement une dizaine d’années pour poser le diagnostic. D’abord, il existe plusieurs types de bipolarités. Ensuite, dans mon cas, les psychiatres n’assistaient qu’à mes phases de dépression. Dans mes phases d’exaltation, je me sentais motivée, ambitieuse, efficace, donc je ne les consultais pas. »

Par ailleurs, les facteurs de déclenchement varient. « La bipolarité peut être liée à des antécédents familiaux, à la consommation d’alcool ou de drogues, ou à un événement traumatique. » Pour sa part, elle fait remonter l’apparition des symptômes aux suites d’une expédition dans la jungle amazonienne qui a mal tourné. « Je me suis retrouvée sous un orage diluvien pendant plusieurs jours, prise au piège dans une tente sans nourriture, pendant que les arbres tombaient autour de moi. Je me suis vue mourir. »

Au début, elle a beaucoup de mal à accepter le diagnostic. « J’avais peur de finir internée, de ne jamais pouvoir exercer un emploi ni fonder une famille. » En réalité, il existe des traitements. « Une fois sortie du déni, j’ai obtenu les médicaments et l’aide psychologique nécessaires. » Elle suit notamment une thérapie cognitivo-comportementale. « On identifie les premiers signaux des phases d’exaltation et de dépression pour mieux les gérer et empêcher leur aggravation. » Elle utilise aussi un diagramme des humeurs. « Tous les jours, tu notes ton état de 1 à 10. Un moyen simple de visualiser la tendance et, le cas échéant, d’alerter. » Elle complète avec une attention redoublée à son bien-être. « Je ne bois plus, je dors beaucoup et je médite 30 minutes par jour. »

Enfin, elle en parle autour d’elle. D’abord à ses proches. « On a besoin de leur vigilance et parfois de leur intervention car on ne se rend pas toujours compte qu’on rechute. Mes amis savent désormais qu’il faut m’appeler quand je ne me manifeste plus, et ma mère, que je ne m’alimenterai pas si elle ne m’apporte pas à manger. » Mais ce n’est pas tout. Elle se confie aussi à son audience.

Spectaculaire !

Car Léa Vigier n’a pas renoncé à vivre des aventures. D’une part, elle veut prouver qu’elle reste capable de réaliser des exploits. « Au début, on m’a déconseillé de grimper en altitude ou de descendre dans les grands fonds, au motif que ça allait provoquer des mouvements similaires dans mon psychisme ! À rebours des idées reçues, je montre qu’on peut continuer à mener son existence comme on le souhaite, tant qu’on est pris en charge. » D’autre part, et c’est lié, elle veut sensibiliser. « On discute peu de la bipolarité alors qu’elle touche deux millions de Français, qu’il s’agit de la sixième maladie la plus handicapante au monde, avant le cancer, et que 50 % des personnes concernées font au moins une tentative de suicide. »

Un message fort qui la différencie. « La plupart des influenceurs aventuriers se positionnent sur l’écologie. Mon propos sur la santé mentale attire l’attention : mes posts atteignent jusqu’à 200 000 impressions, j’ai touché trois millions d’internautes en trois mois l’été dernier, et TEDx m’a proposé une conférence. » Et les entreprises la sollicitent pour des interventions en interne. « Les TPE/PME me demandent d’expliquer comment renforcer sa résilience, comment accepter ses fragilités pour mieux les dépasser… Les grands groupes me sollicitent pour évoquer directement la question du handicap invisible. » Ce sont en effet surtout ces structures qui, pour l’heure, s’emparent du sujet. « Par exemple, SAP surveille le temps de travail de ses employés bipolaires et tire la sonnette d’alarme quand ils excèdent certaines limites. »

À terme, elle vise l’équilibre entre missions rémunérées et initiatives solidaires. « Je m’engage déjà auprès de l’association Hopestage dans la psychoéducation. Je prépare aussi un Tour de France d’une bipolaire, en autostop, avec comme phrase d’accroche : "Je suis bipolaire, tu m’invites ?" Et en octobre, je me lancerai dans la préparation de l’ascension de l’Ama Dablam au Népal. Un projet d’un an dans le cadre duquel je vais aussi collaborer avec une autre association pour emmener des gens atteints de troubles mentaux en excursion à la montagne et, ainsi, les aider à se reconnecter avec eux-mêmes. » 

Certes, elle aurait préféré ne jamais avoir à affronter la bipolarité. « Mais cette épreuve m’a forcée à mieux me connaître et m’écouter. J’en suis sortie plus forte que nombre de personnes en pleine santé. »


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

Paru dans Reflets Mag #157. Voir le numéro exceptionnellement en accès libreRecevoir les prochains numéros.

Commentaires0

Veuillez vous connecter pour lire ou ajouter un commentaire

Articles suggérés

Interviews

Thomas Jobbé-Duval (E00) : « Les librairies font face à de nombreux défis »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

18 juin

Interviews

Reflets Mag #157 | Nicolas Gomart (E85), directeur général de Matmut

RM

Reflets Mag

21 mai

Interviews

Samuel Loiseau (E98) : « Le modèle français du cinéma est un modèle gagnant »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

21 mai

1