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Reflets Mag #158 | Nizar Abdallaoui Maane (E13), entrepreneur au Maroc

Interviews

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07.03.2025

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En couverture du prochain Reflets Mag, Nizar Abdallaoui Maane (E13) raconte son parcours depuis la création de la pépite Kifal Auto, qu’il a revendu avec succès, jusqu’à la direction du Fonds souverain marocain, en passant par la présidence du Chapter Maroc d’ESSEC Alumni. Découvrez un extrait de l’article en avant-première… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !

Reflets Magazine : Quel a été votre parcours avant d’intégrer l’ESSEC en 2009 ?

Nizar Abdallaoui Maane : Je suis né à Fès, dans une famille où l’éducation occupait une place centrale. Il n’y avait pas de lycée français dans ma ville, alors mes parents ont pris la décision de m’envoyer en internat au lycée Paul-Valéry de Meknès à l’âge de 15 ans. C’est là que j’ai appris à vivre loin de ma famille, à me débrouiller, à me construire. J’ai toujours été attiré par les mathématiques, l’histoire, la géopolitique… mais aussi par l’économie et la compréhension du monde. Après le bac, j’ai intégré une classe préparatoire à Paris. L’éloignement n’était pas nouveau, mais il fallait s’adapter à un nouvel environnement. C’est dans cette période exigeante que j’ai découvert l’ESSEC : une école d’excellence qui offrait à chacun la possibilité de tracer son propre chemin, il n’y avait pas de moule. J’ai été admis en 2009 et diplômé en 2013, même si la cérémonie officielle n’a eu lieu qu’en 2014 pour garder ma carte de séjour une année de plus et éviter les conséquences de la circulaire Guéant qui avait touché de nombreux étudiants étrangers à l’époque.

RM : Quelle était votre ambition en rejoignant l’ESSEC ?

N. Abdallaoui Maane : Je voulais me former sérieusement, sans renoncer à ma curiosité. L’ESSEC m’a offert un cadre unique avec une grande liberté dans la construction de mon parcours, une vraie porosité entre les disciplines, et une invitation permanente à l’initiative. On pouvait monter un projet, partir en mission humanitaire, effectuer une alternance ou aller à l’international. C’est une école qui vous responsabilise très vite. D’ailleurs, avant d’intégrer l’ESSEC, j’imaginais un parcours professionnel assez différent de ce que j’ai fait jusque-là, et je pense que l'École a beaucoup joué dans ces réorientations qui sont plus en phase avec ma personnalité.

Par exemple, j’ai fait mon premier stage ouvrier de première année dans un centre de tri postal. Je passais mes journées à collecter et trier du courrier… Ce n’était pas glorieux, mais ça m’a appris l’humilité, le respect du terrain et surtout l’apprentissage qu’on peut avoir en adoptant une vision 360 des opérations.

Et puis, il y avait le réseau des alumni. Au début, je voyais ça comme une promesse un peu abstraite, une liste de role models en qui je me projetais… Mais au fil des années, c’est devenu également un vrai soutien et une communauté généreuse sur laquelle je peux toujours compter.

L’ESSEC, pour moi, c’est un endroit où j’ai appris à tester des choses différentes. Chaque trimestre, je pouvais choisir de nouvelles matières, adopter un nouveau rythme et explorer un peu plus quel était ma voie de réussite. C’est un écosystème qui donne envie d’agir, de construire, d’avoir de l’impact. Et ça, c’est resté.

RM : Et quel a été votre parcours depuis votre sortie de l’ESSEC ?

N. Abdallaoui Maane : J’ai commencé chez Altai Consulting, un cabinet spécialisé dans les marchés émergents. C’est là que j’ai appris à travailler dans des environnements instables, avec des problématiques complexes : s’adapter aux différences culturelles, gérer les incertitudes, reconstruire dans un contexte post-conflit, et surtout repenser l’essentiel… Ensuite, chez IBM, j’ai mis un pied dans le monde de la tech, au moment où la transformation digitale des banques s’amorçait à peine – à l’époque, en 2012, on évoquait les prémices de l’intelligence artificielle avec Watson et ce qu’on appelait le big data. Mais c’est chez BNP Paribas Consulting, le cabinet interne du groupe éponyme, que j’ai consolidé mes compétences stratégiques, avec des missions de transformation de la banque en Europe et en Amérique latine.

En 2019, j’ai ressenti un appel du terrain. J’avais envie de rentrer créer quelque chose d’utile et d'innovant au Maroc. C’est comme ça que Kifal Auto est né. Le marché de la voiture d’occasion était énorme – plus de 600 000 transactions par an – mais totalement informel, sans structuration ni financement. Avec Kifal, on a bâti la première marketplace de véhicules d’occasion avec une offre de financement intégrée. C’était surtout un tiers de confiance, capable de sécuriser les transactions et d’ouvrir la voie au crédit. On a introduit le financement automobile sur l’occasion au Maroc en partenariat avec les banques. En 2022, Autochek, une startup nigériane, a racheté l’entreprise pour mettre un pied en Afrique francophone. Je suis resté deux ans pour piloter l’expansion au Sénégal et en Côte d’Ivoire, et assurer une transition fluide avec mon successeur au Maroc. Puis j’ai rejoint le Fonds Mohammed VI en tant que directeur d’investissement en charge dans l’équipe de fonds de fonds.

RM : Comment vous est venue l’idée de créer Kifal Auto ?

N. Abdallaoui Maane : Tout a démarré avec un constat frappant : plus de 80 % des voitures neuves sont vendues avec solution de financement, contre 0 % des véhicules d’occasion, et pourtant les deux marchés ont une taille équivalente (environ 5 Mds d'euros chacun). En visitant les concessionnaires informels, j’ai compris l’ampleur du défi et l’origine de cette aberration. Les gens achetaient des voitures sans garantie, sans recours, sans financement. Les clients, lorsqu'on discutait avec eux, manifestaient l’envie d’avoir une offre plus structurée, et le banquier qui me suivait avait compris que les sociétés de financement ont besoin de tiers de confiance pour déployer leurs offres. C’est alors que je me suis forgé une conviction forte : soit je le ferais, soit quelqu’un d’autre saisirait l’opportunité après moi. Alors j’ai décidé de lancer Kifal, un acteur intégré de la transaction automobile : de l’expertise, la gestion du process opérationnel et le déploiement d'offres de financement.

On a commencé petit, avec mon épargne personnelle. J’ai commencé par me former à quelques gaps de compétences : la tech et la mécanique, j’ai créé une page sur les réseaux sociaux, j’ai recruté un agent et c’était lancé en trois mois. Très vite, le marché a perçu la proposition de valeur unique qu’on apportait et le bouche-à-oreille a fait son travail. Depuis, on a inspiré de nombreux autres entrepreneurs et grands groupes pour adresser ce segment et aujourd’hui le marché est complètement différent.

RM : Pouvez-vous nous présenter l’écosystème entrepreneurial au Maroc ?

N. Abdallaoui Maane : L’écosystème a changé de dimension. Il a connu une transformation majeure ces dernières années. En 2019, les levées de fonds pour les startups au Maroc étaient quasi inexistantes. Lever 1 million d’euros relevait alors de l’exploit et l’ensemble des startups marocaines avaient levé 7 millions d’euros. En 2024, ce montant a été multiplié par 10.

Avec l’impulsion du Fonds Mohammed VI, la donne devient complètement différente en 2025. Pour le private equity, près de 2 milliards d’euros ont été levés par les fonds marocains, c’est plus que ce qui avait été levé au cours des 15 années précédentes. Le venture capital n’est pas en reste : avec les fonds en cours de levées et l’accélération de la dynamique locale, on peut espérer quelques centaines de millions d’euros de financement disponibles pour les startups marocaines.

Par ailleurs, on assiste à une vraie professionnalisation de l’industrie, grâce notamment aux programmes comme 212 Founders, à la montée en puissance du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, aux réseaux de business angels, aux incubateurs régionaux et à l’initiative du ministère de la Transition numérique pour le venture building…

Il y a aussi une génération d’entrepreneurs qui ne se contentent plus de copier des modèles étrangers, mais inventent des solutions locales, adaptées, exportables. L’État joue un rôle catalyseur, mais le changement vient également du terrain. Entreprendre fut un temps peu valorisé par rapport à des carrières dans de grands groupes ; cela devient aujourd’hui une voie d'excellence. Et, on peut le dire, trouver les capitaux pour financer un projet viable n’est plus un défi au Maroc.

RM : Existe-t-il encore des freins au développement des entreprises ?

N. Abdallaoui Maane : Oui, bien sûr et heureusement, c’est ce qui fait qu’il y a encore du potentiel. Je pense que le principal, c’est un décalage réglementaire. Quand plus de la moitié des investissements en startups en Afrique et au Moyen-Orient sont déployés dans des fintechs par exemple, au Maroc on avance à vue. Il n’y a pas de sandbox, pas de statut clair pour les néo-banques, pas de cadre pour le BNPL ou l’open banking. Cela ralentit l’innovation. La bonne nouvelle a été la création du Morocco Fintech Center en 2025, à l’initiative des régulateurs ainsi que des principales institutions concernées par le sujet ; maintenant, les entrepreneurs attendent impatiemment de voir des changements concrets. Le VTC est un autre exemple, on fait partie des rares pays où il n’y a pas de cadre réglementaire. Probablement qu’il doit y avoir d’autres exemples dans des secteurs que je connais moins. De manière générale, il y a un vrai besoin d’agilité institutionnelle et de réactivité réglementaire pour soutenir l’écosystème local.

L’autre frein, c’est l’accès aux talents tech. Les profils sont rares et très demandés par les entreprises étrangères ou les grandes entreprises marocaines. Malheureusement, les jeunes startups n’ont pas toujours les moyens d’être compétitives ; alors il faudrait continuer à former plus de talents pour combler ce gap entre l’offre et la demande nationale et internationale.

RM : Quels sont les défis et les atouts du Maroc ?

N. Abdallaoui Maane : Le principal défi aujourd’hui est de créer davantage de passerelles entre les structures traditionnelles et l’agilité de l’innovation. Il faut réduire le temps d’adaptation de l’État et des grands groupes aux dynamiques des startups et des PME. On voit une accélération des transformations, qu’elles soient géopolitiques, économiques, technologiques… Je pense qu’on entre dans une période de cycles courts qui nécessitent de plus en plus d’agilité.

Mais les atouts du Maroc sont immenses. Sous l’impulsion de Sa Majesté, le pays a entamé depuis plus de vingt ans une transformation économique et sociale en profondeur. Nous bénéficions aujourd’hui d’un cadre socio-politique stable, de fondamentaux macroéconomiques solides et d’infrastructures modernes – des éléments essentiels pour bâtir un Maroc prospère.

Notre position géographique est un atout stratégique : à seulement 15 kilomètres de l’Europe, au carrefour de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Occident. Le Maroc est naturellement tourné vers l’international, et on peut le mesurer de différentes manières : nombre d’accords de libre-échange, premier pays touristique en Afrique, un Marocain sur dix vit à l’étranger... Nous sommes un peuple profondément multiculturel, nourri par des influences berbères, arabes, africaines, européennes… et nous avons su préserver un vivre-ensemble apaisé, quelles que soient nos origines ou croyances, en toutes circonstances.

Enfin, l’accueil de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030 représente une opportunité unique d’accélérer le développement de nos infrastructures et de renforcer notre rayonnement. Ces événements mondiaux sont aussi une vitrine pour montrer le meilleur du Maroc – sa jeunesse, sa créativité, son hospitalité – et attirer davantage encore de talents, de touristes et d’investissements.

RM : Vous êtes président du Chapter Maroc d’ESSEC Alumni depuis 18 mois. Quel est votre engagement ?

N. Abdallaoui Maane : [suite de l’article à découvrir dans Reflets Mag #158] 

 

Propos recueillis par François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets Mag

Paru dans Reflets Mag #158. Recevoir les prochains numéros.


Image : © Bakir.co

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