Marc-Antoine Authier (E14) : « Les entreprises doivent relever les défis de leur territoire »
Marc-Antoine Authier (E14) a récemment publié avec Loïse Lyonnet une étude sur la responsabilité territoriale des entreprises (RTE) pour l’Institut Terram. Derrière ce concept : la volonté de renforcer l’ancrage et l’impact local des acteurs économiques. Explications.
ESSEC Alumni : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la RTE ?
Marc-Antoine Authier : Après la Chaire d’Entrepreneuriat social à l’ESSEC, j’ai commencé ma carrière à l’Institut Montaigne en tant que chargé d’études sur les sujets de développement durable. J’ai ainsi découvert l’univers des think tanks et de l’influence publique. Fort de cette première expérience, j’ai piloté la stratégie de lobbying du Mouvement des ETI (METI), où j’ai appris l’ingénierie de messages, c’est-à-dire l’art d’injecter et de diffuser des idées nouvelles dans le débat public. Aujourd'hui, j’occupe un poste de collaborateur parlementaire et conseiller technique au Sénat, où je suis notamment les travaux de la Commission des Finances, et j’entreprends en parallèle dans le domaine de l’édition.
EA : Que désigne le concept de RTE ?
M.-A. Authier : La RTE postule que les entreprises devraient prioriser les défis de leur territoire plutôt que ceux de la société, couverts par la RSE. Pour autant, l’un n’empêche pas l’autre, bien évidemment ; et souvent les objectifs s’alignent, par exemple sur l’environnement. Dans les deux cas, il s’agit de contribuer à l’intérêt général au-delà du profit. Mais la RTE se veut une démarche ascendante, non pas descendante : on se concentre d’abord sur ce que l’entreprise apporte à son bassin de vie, on cherche à le mesurer, puis à l’améliorer. Autrement dit : on part de la réalité du terrain au lieu de procéder par « ruissellement des contraintes » comme on le fait aujourd’hui avec des normes telles que la CSRD et la CS3D, conçues à l’aune des grandes entreprises et étendues aux ETI, aux PME et aux TPE sans prendre en compte leurs spécificités.
EA : Qui sont les bons élèves de la RTE en France ?
M.-A. Authier : Notre champion national s’appelle Michelin ! L’acteur industriel est devenu, au fil des décennies, l’emblème de Clermont-Ferrand, au point que les deux identités, celle de la ville et celle de l’entreprise, semblent se superposer. Et aujourd’hui encore, Michelin continue d’investir sur place, notamment avec la transformation du Parc Cataroux. On peut aussi citer Hermès, qui fixe et pérennise des savoir-faire d’exception dans nos territoires, Décathlon, qui adapte son offre aux spécificités de ses régions d’implantation (par exemple en mettant en avant les sports nautiques dans les enseignes situées près de la mer), ou encore la FFIGIA, qui promeut le déploiement d’indications géographiques dans l’industrie et l’artisanat, comme la porcelaine de Limoges ou le couteau de Laguiole, sur le même modèle que les appellations en agriculture.
EA : Gagnerait-on à s’inspirer d’initiatives dans d’autres pays en la matière ?
M.-A. Authier : Plusieurs pays cultivent une véritable fierté de la production nationale, comme l’Allemagne avec son Mittelstand ou l’Italie avec son industrie de précision. Ce n’est pas un hasard si l’un comme l’autre ont des balances commerciales structurellement excédentaires. Nous devrions pouvoir faire comme eux dans l’industrie et l’artisanat – d’autant nous savons déjà le faire dans l’agriculture, avec des appellations hyper localisées qui rayonnent à l’international, et dans le tourisme, la France et ses régions comptant parmi les destinations les plus attractives du monde.
EA : Que proposez-vous pour développer la RTE ?
M.-A. Authier : Dans notre étude, nous plaidons pour une révision de la directive européenne sur les marchés publics, afin de mettre en place une « préférence locale », c’est-à-dire la possibilité pour tout acteur public de favoriser une entreprise au seul motif qu’elle provient de son territoire, ce qui est aujourd’hui impossible. La Commission européenne a prévu d’assouplir les règles actuellement en vigueur, en intégrant une préférence européenne. Cette décision va dans le bon sens, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin. Nous appelons à faire de la production locale une véritable priorité nationale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : notre pays est champion du monde de la taxation du travail et du capital quand en revanche nous nous situons dans la moyenne pour la taxation de la consommation. Cette approche revient à pénaliser la production nationale par rapport aux productions étrangères… Pour y remédier à iso-budget, on devrait selon moi financer des baisses de taxes pour les entreprises en augmentant la TVA. Osons le débat !
EA : Au-delà de l’action publique, quels outils peut-on utiliser dès aujourd’hui pour mettre en œuvre la RTE ?
M.-A. Authier : Pour monter en puissance, il faut d’abord mesurer, objectiver ce qui se fait déjà. C’est pourquoi les entreprises ont intérêt à s’emparer d’outils de mesure de l’impact local, voire à développer le leur. Bonne nouvelle : dans ce domaine, le Laboratoire d’évaluation et de mesure d'impact social et environnemental (E&MISE) de l’ESSEC est à la pointe et bénéficie d’une expertise reconnue, notamment dans le milieu académique.
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