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Reflets Mag #157 | Nicolas Gomart (E85), directeur général de Matmut

Interviews

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05.21.2025

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En couverture de Reflets Mag #157, Nicolas Gomart (E85), directeur général de Matmut, explique comment le groupe mutualiste s'est réinventé pour atteindre en 2024 un chiffre d’affaires record de 3,2 milliards d’euros, avec 4,6 millions de sociétaires et 8,4 millions de contrats sous gestion. Découvrez l’article exceptionnellement en accès libre… et abonnez-vous !

Reflets Magazine : Vous venez de publier d’excellents résultats pour l’année 2024 ; comment expliquez-vous une telle performance ?

Nicolas Gomart : Il est vrai que ces résultats sont très bons puisque notre chiffre d’affaires global a progressé de 8,7 % et, surtout, a franchi une barre symbolique, celle des trois milliards d’euros – c’était pour nous très important. J’ajoute que notre résultat a progressé de 137 %, pour dépasser la barre symbolique des 100 millions d’euros, ce qui n’était jamais arrivé dans le groupe. Les raisons principales de l’amélioration de la rentabilité de nos activités historiques d’assurance de biens – c’est-à-dire essentiellement les assurances automobile et habitation –, sont liées à une meilleure qualité de portefeuille, une meilleure sélection des risques et une bonne maîtrise des frais généraux. Il faut reconnaître également qu’il y a eu une moindre sinistralité climatique, ce qui nous a aidés en 2024 par rapport aux deux années précédentes. Concernant nos activités plus récentes de diversification – c’est-à-dire les assurances santé, les assurances vie –, elles connaissent un très bon développement.

RM : Cela concerne donc l’ensemble de vos métiers...

N. Gomart : Cela concerne en effet l’ensemble des métiers du groupe, à la fois en termes de développement – c’est-à-dire de chiffre d’affaires, de primes encaissées –, mais aussi de résultats stricto sensu dans les trois principaux métiers qui sont les nôtres : l’assurance de biens, l’assurance santé, l’assurance vie et épargne-retraite. L’ensemble des moteurs de l’entreprise a donc bien fonctionné, cela explique la forte progression du résultat global.

RM : Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes du plan stratégique du groupe qui court jusqu’en 2026 ?

N. Gomart : Notre plan stratégique « Objectif Impact ! 2024-2026 » s’inscrit dans un contexte, qui vaut d’ailleurs pour l’ensemble des acteurs de l’assurance, à savoir faire face à quatre principaux défis. Le premier concerne l’évolution de la mobilité. Les gens n’ont aujourd’hui pas le même rapport à l’automobile que celui qu’ils avaient dans le passé. C’est une évolution qui n’est pas près de s’arrêter, notamment avec la plus grande utilisation de véhicules électriques, mais surtout une moindre utilisation de véhicules dans les grandes villes. Le deuxième défi concerne le réchauffement climatique et ses conséquences que sont les risques de catastrophes naturelles – un défi très fort, structurel, qui va durer lui aussi. Le troisième, c’est le vieillissement de la population française, qui a des conséquences évidemment importantes sur l’évolution des dépenses de santé. Et enfin le quatrième défi vient de l’émergence et du développement toujours plus important de l’intelligence artificielle. Face à ces quatre défis, notre stratégie s’articule de façon assez simple autour de deux piliers. Le premier pilier est de continuer à renforcer et à optimiser nos activités historiques. La Matmut est à l’origine un assureur automobile qui s’est par la suite développé sur l’habitation, un environnement extrêmement compétitif, avec des concurrents très puissants. Nous devons toujours veiller à améliorer notre qualité de service et notre rentabilité sur ce segment-là. Cela passe notamment par une amélioration des outils, une optimisation des processus et la rénovation complète de notre système d’information. Ensuite, le deuxième grand pilier, c’est précisément la diversification, c’est-à-dire la capacité de développement d’autres métiers en complément de nos métiers historiques, afin de générer des résultats plus stables pour l’ensemble de l’entreprise, puisque ce sont des métiers qui obéissent à des logiques différentes. Dans ce domaine-là, l’exécution de notre précédent plan stratégique a permis une forte progression de notre activité d’assurance santé, qui avait débuté quelques années auparavant. Aujourd’hui, notre objectif est de développer l’épargne plus que nous ne l’avons fait dans le passé. Nous le faisons de façon organique tout en procédant à une acquisition d’importance pour le groupe, celle de HSBC Assurances Vie en France. Cette acquisition va nous permettre d’augmenter considérablement la part de ce métier dans le mix d’activités du groupe.

RM : Il s’agit donc d’une véritable extension des métiers...

N. Gomart : Absolument. À la fin de l’année 2024, nous avions une répartition d’à peu près 70 % d’activités en assurance de biens - IARD, 25 % d’activités d’assurance en santé et 5 % en vie. Au terme de cette acquisition, nous n’aurons plus qu’un petit peu moins de 50 % d’activités IARD, un peu plus de 50 % sur le reste, et sur ce reste deux tiers d’assurance vie et un tiers de santé. On constate donc que le profil général du groupe est en train de considérablement évoluer avec cette opération. C’est pour moi et l’ensemble de nos collaborateurs une période absolument passionnante, parce que les enjeux sont considérables. C’est vrai que l’assurance n’a pas la réputation d’être un métier extrêmement glamour, en première analyse. En fait, ce que l’on observe, c’est que tous les gens qui travaillent dans l’assurance découvrent, quand ils y entrent, un métier absolument passionnant. Passionnant parce que c’est un métier très proche de la vie des gens, en phase avec les évolutions de la société... Toutes les grandes transformations sociétales ont un impact sur notre métier, puisque précisément, ces transformations génèrent de nouveaux risques, de nouveaux aléas, et il y a une demande d’assurance pour protéger les gens face à ces nouveaux aléas. Il est vrai qu’au-delà de cet environnement qui est valable pour l’ensemble des assureurs, à la Matmut nous vivons tous une période exceptionnelle car nous sommes en train de transformer complètement l’entreprise, et ça c’est effectivement assez passionnant.

RM : Voulez-vous dire que le monde de l’assurance peut être attractif pour les jeunes diplômés ?

N. Gomart : On dit souvent, dans notre métier, qu’on entre dans l’assurance par hasard mais qu’on y reste par passion. Je suis sincèrement convaincu que c’est un métier riche d’opportunités ; c’est d’ailleurs pour moi l’occasion de m’adresser aux jeunes diplômés de l’ESSEC en leur disant : n’hésitez pas ! Je connais un certain nombre d’anciens ESSEC dans l’assurance, et ceux que je connais réussissent bien.

RM : Envisagez-vous un prochain développement à l’international ?

N. Gomart : Pas pour l’instant. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur le territoire national, où nous avons déjà à faire. Il faut savoir que le métier de l’assurance reste encore très fragmenté au niveau de chacun des pays, parce qu’il s’agit d’un métier dicté par la loi, par la réglementation, très spécifiques à chacun des pays. Y compris même en Europe, il existe de grosses différences entre l’assurance en Allemagne, en Italie, en Espagne ou ailleurs par rapport au système français. Ce qui veut dire que si vous voulez vous développer à l’international, c’est difficile de le faire en croissance organique pure. Il faut le faire par acquisition et, lorsqu’on le fait par acquisition, cela peut marcher ou non, ce n’est pas dénué d’aléas. J’observe que, pour nos confrères qui s’y sont risqués, qui ont un peu le même profil que nous, cela n’a pas toujours été couronné de succès. Je préfère donc me concentrer sur ce que j’ai à faire en France ; peut-être qu’on y viendra plus tard, mais pour l’instant ce n’est pas la priorité.

RM : Dans quelle mesure les changements climatiques impactent-ils votre activité ?

N. Gomart : Cela a des implications directes sur ce que l’on appelle notre sinistralité, à la fois en habitation naturellement, mais également en automobile. En 2022, nous avons eu, au titre des événements naturels importants, une charge de près de 200 millions d’euros. Et sur ces 200 millions d’euros, il y en a eu un petit peu moins de la moitié qui était sur l’automobile à cause des grêles. La grêle est un risque climatique extrêmement fort pour un portefeuille automobile. Un orage de grêle qui tombe sur un parking de supermarché un samedi après-midi, ça peut faire monter la facture très vite. L’autre chose à noter est une recrudescence des phénomènes de sécheresse, qu’on a observée plusieurs années de suite entre 2018 et 2023, qui a pour effet ce qu’on appelle le retrait-gonflement des argiles, à l’origine de dégâts potentiellement sévères dans les maisons. Et là, le coût de réparation est extrêmement élevé pour les assureurs, c’est souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros qui doivent être dépensés pour une prime d’habitation de quelques centaines d’euros. En France, la sécheresse concerne potentiellement dix millions de maisons sur une grande partie du territoire, le plus souvent sur des sols argileux. Il y a enfin, bien entendu, des inondations, mais ce sont des choses plus classiques que, d’un point de vue assurantiel, l’on maîtrise mieux et depuis plus longtemps. Globalement, en 2022, ces phénomènes naturels ont coûté plus de 10 milliards d’euros au secteur de l’assurance. Et la tendance générale est à l’augmentation de ces phénomènes sur les 20 ou 30 pro chaines années. L’enjeu pour nous est de limiter au maximum l’augmentation des primes en travaillant sur les mécanismes de prévention afin de limiter les conséquences. Cela peut passer par davantage de vigilance sur les techniques de construction, un dialogue accru avec les pouvoirs publics, en particulier avec les collectivités locales, pour améliorer ne serait-ce que l’écoulement des cours d’eau et ainsi limiter les inondations. C’est un sujet qui ne concerne pas seulement les assureurs, mais aussi l’État, les collectivités locales, le secteur du bâtiment et, bien sûr, les assurés eux-mêmes, appelés à prendre des dispositions pour limiter les risques sur leurs biens.

RM : Des discussions ont été engagées à ce sujet avec les pouvoirs publics ?

N. Gomart : Après 2022, il y a eu une véritable prise de conscience de l’ensemble des acteurs de l’écosystème, et effectivement des discussions accrues se sont engagées avec les pouvoirs publics pour essayer de trouver les éléments d’une solution, ou en tout cas d’une limitation de l’impact des phénomènes climatiques sur ce qu’on appelle l’assurabilité. Il est très important de préserver l’assurabilité de l’ensemble du territoire français ; qui dit assurabilité dit primes d’assurance dont les niveaux restent raisonnables même si elles augmentent pour l’ensemble de nos concitoyens. Une série de travaux a été engagée, des rapports ont conclu notamment à la création d’un observatoire de la présence des assureurs sur le territoire de façon à bien vérifier qu’il y aura toujours, y compris dans des zones soumises à des aléas climatiques forts, une présence des assureurs. L’enjeu est précisément de préserver cette assurabilité, de veiller à ce qu’il n’y ait pas de désengagement des assureurs. Ensuite, il faut naturellement multiplier les initiatives en matière de prévention, parmi lesquelles le renforcement de la loi ELAN, qui a notamment permis de créer un certain nombre de normes de construction visant à limiter le phénomène de retrait-gonflement des argiles. Enfin, il faut continuer à dialoguer avec les collectivités locales pour davantage de responsabilité en matière d’attribution des permis de construire. L’ensemble de ces sujets doit être traité de façon globale ; c’est un gros travail, mais je pense que si tous les acteurs y contribuent, nous pouvons y arriver.

RM : Quel rôle et quelle place l’IA tient-elle dans vos métiers ?

N. Gomart : L’intelligence artificielle tient une place de plus en plus importante dans l’ensemble de nos processus. Qu’il s’agisse du calcul des montants d’indemnisation en faveur de nos sociétaires, de notre activité de protection juridique en obtenant une réponse immédiate sur toute la jurisprudence existante, en matière de lutte contre la fraude qui représente pour nous des enjeux financiers très lourds, ou encore en ce qui concerne l’analyse des risques, l’IA est un outil. Je pourrais vous citer une multitude d’autres exemples, mais la question pour nous est aujourd’hui de savoir organiser les choses, comment les prioriser, tout ceci dans un cadre responsable et éthique, avec un contrôle de ce que font les modèles. Nous voyons l’IA générative comme un outil au service de nos collaborateurs.

RM : Quels sont les engagements RSE du groupe Matmut ?

N. Gomart : Avant de détailler les trois axes de notre politique RSE, je tiens à préciser que nous n’avons pas d’un côté une politique RSE, et de l’autre notre activité. L’enjeu pour nous est de faire en sorte d’introduire ce qu’on appelle la durabilité dans l’ensemble de nos processus. Le premier axe est celui de la préservation de l’environnement. Par exemple, nous faisons très attention à utiliser de plus en plus, pour la réparation automobile, des pièces venues de l’économie circulaire, avec un objectif de 20 % à court terme. Nous sommes aujourd’hui à 17,5 %, ce qui n’est pas si mal dans la mesure où les chaînes ne sont aujourd’hui pas encore complètement matures. Nous avons également mis en place des programmes de lutte contre la pollution plastique et la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Le deuxième axe est l’inclusion, notamment auprès des personnes en situation de handicap. Ainsi, l’entreprise compte 9 % de collaborateurs en situation de handicap, un taux au-dessus du minimum légal qui est de 6 %. Mais cela concerne aussi nos sociétaires en situation de handicap, avec la mise en place de dispositifs spécifiques pour les accueillir, particulièrement dans notre centre de santé du Ve arrondissement à Paris. Enfin, le troisième axe tourne autour du bien-être, de l’activité physique et de la santé, avec la mise en place d’un certain nombre de programmes de prévention à destination du grand public, et plus récemment en direction de chefs de TPE/PME afin de les aider à prendre soin de leur santé mentale Autant d’exemples pour illustrer le fait que nos engagements RSE et l’exercice de nos métiers sont étroitement liés.

RM : Quels sont les défis que vous allez devoir relever à l’avenir en matière de ressources humaines ?

N. Gomart : Comme toute entreprise, nous avons un enjeu d’attractivité. Nous avons formalisé notre marque employeur l’année dernière avec une campagne de communication qui a bien fonctionné. Aujourd’hui, nous sommes face à des populations jeunes qui sont très volatiles, on dit qu’ils pratiquent le 2, 3, 5, 7. C’est-à-dire deux ans la première expérience, trois ans la deuxième, cinq ans la troisième et ils ne se stabilisent qu’à partir de la cinquième. C’est une évolution forte et elle touche tous les secteurs. Pour y faire face, nous avons mis en place divers dispositifs comme le télétravail. On parle beaucoup de la recherche de sens de la part de cette jeune génération, je crois qu’on a toujours recherché un sens au travail, mais il est vrai que ce sont des choses qui sont assez prégnantes de nos jours. Et donc, de ce point de vue, tout ce qu’on fait en matière de durabilité, de RSE, en cohérence avec notre modèle mutualiste, répond à cette attente. Notre action s’inscrit dans le long terme : nous n’avons pas d’actionnaire à rémunérer, nos – nécessaires – résultats peuvent être totalement réinvestis dans l’entreprise et dans nos engagements au service du bien commun. Enfin, cela passe beaucoup par le management, l’évolution des modes de management, plus participatif, plus à l’écoute, qui passe moins par la consigne et davantage par la co-construction. Pour les populations plus âgées, nous pensons qu’il y a vraiment quelque chose à faire auprès des seniors, une population plus stable que les jeunes. Elle a souvent de l’expérience, un engagement fort, un attachement à l’entreprise. De ce point de vue, nous utilisons, entre autres, les dispositifs proposés par France Travail, le dispositif de CDD seniors, les cumuls emploi/retraite, enfin tous les dispositifs administratifs ou réglementaires qui permettent et facilitent l’accession à l’emploi ou le retour à l’emploi.

RM : Quel est votre style de management ?

N. Gomart : Je pense qu’en tant que dirigeant d’entreprise, j’ai trois missions principales en matière de management. La première, c’est de fixer un cap et des objectifs. La deuxième, qui n’est pas la plus simple, c’est de créer, d’organiser, d’animer un collectif de direction où chacun a sa place, mais où chacun a aussi un sens aigu de la responsabilité du collectif. Donc mettre en place des mécanismes de régulation et d’autorégulation de ce collectif est pour moi majeur. La troisième, c’est de savoir arbitrer une décision quand précisément elle ne l’a pas été par le collectif lui-même. Une fois qu’on a dit cela, il faut manager en conséquence. Cela passe tout de même par quelques convictions bien ancrées : savoir, quand il le faut, se remettre en question, et surtout, écouter, beaucoup écouter. 

RM : Quels souvenirs conservez-vous de votre passage à l’ESSEC ?

N. Gomart : J’en garde un excellent souvenir. Ce qui m’avait marqué à l’époque, c’est que l’école nous laissait beaucoup d’autonomie dans le choix du cursus et des cours. J’ai toujours considéré que c’était une manière de nous dire : « Fini le système scolaire habituel, à vous maintenant de vous prendre en charge, de faire des choix ; on attend de vous que vous soyez davantage responsables de votre destin ».

RM : En quoi l’école vous a-t-elle été utile tout au long de votre carrière ?

N. Gomart : Par sa dimension entrepreneuriale et notamment celle cultivée par Junior ESSEC. Et donc tout cela a probablement joué dans ma manière de manager tout au long de ma carrière. Parce que l’autonomie que j’évoquais nous permettait aussi de sortir de cadres plutôt établis, nous invitait à savoir prendre des risques, à nous engager et à nous exposer. C’est notamment en cela que l’école m’a été utile, et je lui en suis reconnaissant.

 

Propos recueillis par François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets Mag, et Michel Zerr, correspondant pour Reflets Mag

Paru dans Reflets Mag #157. Voir le numéro exceptionnellement en accès libreRecevoir les prochains numéros.

 

Image : © Christophe Meireis

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